Abbé Prévost – Manon Lescaut – le tragique

Temps de lec­ture : 3 minutes

Renoncour, le sup­po­sé mémo­ria­liste, dans l’Avis de l’auteur, annonce qu’il va don­ner « un exemple ter­rible de la force des pas­sions », l’histoire d’un jeune homme « aveugle » qui se pré­ci­pite dans les pires infor­tunes. Le ton de la tra­gé­die est ainis donné : voici un héros qui se laisse entraî­ner par son des­tin. Mais, dès ces pre­mières lignes, les pro­pos de Renoncour sou­lignent aussi l’ambiguïté de ce héros qui semble mal­gré tout, res­pon­sable de ses errances : le jeune homme s’est jeté « volon­tai­re­ment dans les der­nières infor­tunes ». Quelle est donc la véri­table dimen­sion tra­gique de ce personnage ?

1. Un héros tragique

DG peut être consi­dé­ré comme un héros puisqu’il est confron­té à un grand nombre de mal­heurs qu’il sur­monte avec gran­deur d’âme, au risque d’y trou­ver la mort.

a) Les infor­tunes du héros

Elles jalonnent le récit comme autant d’épreuves à sur­mon­ter : 3 tra­hi­sons de l’être aimé, sui­vies de 3 séques­tra­tions car tout s’oppose à la pas­sion de DG.
Ces coups du sort sus­citent les paroles et les réac­tions les plus vio­lentes. Combien de fois DG maudit-il Manon, « infi­dèle », « incons­tante », cruelle. Les dis­putes du père et du fils se tra­duisent par des paroles aux accents raci­niens « va cours à ta perte. Adieu, fils ingrat et rebelle. Adieu, lui dis-je dans mon trans­port, adieu père ingrat et déna­tu­ré » p.189. tan­dis que le père ne sup­porte pas de voir son auto­ri­té remise en cause, le fils refuse de trou­ver dans cet homme un père. Comme dans la tra­gé­die, l’adversité pousse les per­son­nages à dévoi­ler les pro­fon­deurs de leur personnalité.

b) Une noblesse naturelle

Le héros sait mon­trer sa gran­deur d’âme et n’accepte d’être mépri­sé ni par son père, ni par Manon. Noblesse natu­relle puisque Renoncour remarque tout de suite ‘ un air si fin, si noble »
Il réagit tou­jours avec magna­ni­mi­té même dans les tour­ments les plus grands : il pré­fère la mort plu­tôt que d’être trom­pé, plu­tôt que de vivre loin d’elle, il pré­fère la mort. Il méprise les vils pro­cé­dés uti­li­sés par Manon qui est prête à accep­ter l’argent du vieux GM : « Dieu d’amour ! Quelle gros­siè­re­té de sen­ti­ments et que cela répond mal à ma déli­ca­tesse !» p.99. S’il finit par uti­li­ser ces même moyens, c’est pour sau­ver son amour.
DG entraîne d’ailleurs Manon dans sa longue marche vers la pure­té et la vertu.
Comme dans la tra­gé­die, la pas­sion ne conduit paqs au bon­heur mais à la mort. Finalement Manon meurt et DG atten­dant en vain la mort et condam­né à lui sur­vivre, connaît ainsi le plus ter­rible châtiment.

2. Un des­tin tragique

Devenu nar­ra­teur, DG a 2 objec­tifs : api­toyer l’auditeur ou le lec­teur mais aussi com­prendre ce qui lui est arrivé.

a) Terreur et pitié

Comme dans la tra­gé­die, le récit de DG doit sus­ci­ter la ter­reur et la pitié. DG se tourne vers son passé et ne com­prend pas com­ment sa vie a été bou­le­ver­sée. Le nar­ra­teur ne par­vient pas à sug­gé­rer « le désordre » de son âme lorsqu’il écoute le dis­cours de Manon, venue le trou­ver au séminaire(p.77 ). Il éprouve les mêmes dif­fi­cul­tés à ana­ly­ser ses sen­ti­ments après la mort de Manon. De plus, l’émotion est renou­ve­lée par la nar­ra­tion et DG craint de ne pou­voir finir son récit « Je crains de man­quer de force pour ache­ver le récit du plus funeste évé­ne­ment qui fût jamais » ? le passé garde donc son obs­cu­ri­té et le jeune homme ins­pire la pitié car il cherche une expli­ca­tion à cet enchaî­ne­ment d’accidents

b) L’obscurité du destin

DG pense être sou­mis à un « ascen­dant » qui le conduit à sa perte Devant Tiberge, il déclare « Je lui par­lai de ma pas­sion(…) Je la lui pré­sen­tai comme un des coups par­ti­cu­liers du des­tin qui s’attache à la ruine d’un misé­rable et dont il est aussi impos­sible à la vertu de se défendre qu’il a été à la sagesse de les pré­voir » (p.90). La pas­sion devient donc une fata­li­té à laquelle le héros est»asservi ». Soumis à sa pas­sion, le héros est fina­le­ment brisé par le châ­ti­ment divin : la mort de Manon. Comme chez Racine, la fata­li­té prend la forme d’une pas­sion dévo­rante. Comme dans la tra­gé­die antique, un dieu ven­geur pour­suit les héros.

Auteur : G.F

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