Cinquième République : le septennat de Giscard d’Estaing

Temps de lec­ture : 6 minutes
  • Au len­de­main de la mort de G. Pompidou, une nou­velle période de l’histoire de la Ve République com­mence. Au moment des élec­tions pré­si­den­tielles, la gauche, cette fois, appa­raît unie par un Programme com­mun et pro­pose un unique can­di­dat : François Mitterrand. La majo­ri­té est divi­sée entre gaul­listes tra­di­tion­nels et gaul­listes pom­pi­do­liens. Un phé­no­mène nou­veau se pré­sente : les can­di­da­tures mar­gi­nales, avec un can­di­dat éco­lo­giste, un de l’extrême droite, des Fédéralistes euro­péens et même un roya­liste ! Le vain­queur des élec­tions est Valéry Giscard d’Estaing (que l’on dési­gne­ra VGE), chef des Républicains indé­pen­dants, mais avec un très faible écart par rap­port à Mitterrand. Si les ins­ti­tu­tions de la Vème République ont fait preuve de leur bon fonc­tion­ne­ment en ce qui concerne le chan­ge­ment de pré­sident, le pays appa­raît plus que jamais coupé en deux. La France fait ses pre­miers pas vers une répu­blique non-gaullienne puisque le nou­veau pré­sident est d’une famille poli­tique dif­fé­rente, plus modé­rée, réfor­ma­trice et européenne.
    Encore jeune ( il a 48 ans), VGE prône une doc­trine assez vague, le chan­ge­ment dans la conti­nui­té. En finir avec la guerre, l’après-guerre et assi­mi­ler deux ou trois idées de la géné­ra­tion 68. Aussi se fait-il l’avocat de l’ouverture euro­péenne et des réformes de socié­té : Giscard, beau­coup plus que 
    Mitterrand joue la dis­con­ti­nui­té, et plu­tôt qu’une mémoire longue (celle de la gauche chez son adver­saire), une mémoire courte bran­chée sur mai 68. Cette posi­tion se révé­le­ra assez vite inte­nable quand Giscard devra se rebran­cher sur sa base poli­tique et par­le­men­taire. Mais dans ce laps de temps très rapide entre le décès de Pompidou et l’élection de son suc­ces­seur, s’opère comme une mise entre paren­thèse.
    Plusieurs fois res­pon­sable de l’Économie et des finances depuis le géné­ral de Gaulle, fon­da­teur du Mouvement des Républicains Indépendants (fon­da­teur prin­ci­pal de l’UDF), Giscard d’Estaing l’emporte d’une courte tête sur François Mitterrand et ce, grâce à l’ap­pui de 
    Jacques Chirac et de son mou­ve­ment gaul­liste de l’UDR (deve­nu plus tard le RPR).
    Progressivement la moder­ni­té affi­chée par Giscard va finir par ali­men­ter l’image exé­crable du président-gadget. Arrivant à l’Elysée au volant de sa propre voi­ture, Giscard pré­ten­dait sim­pli­fier le pro­to­cole et se rap­pro­cher des Francais. Progressivement l’i­mage de Giscard évo­lua dan­ge­reu­se­ment, le pré­sident moderne lais­sant place à l’hôte des grands de ce monde, à l’a­ma­teur d’hon­neurs, voire de cadeaux. En fin de sep­ten­nat le suc­ces­seur de Pompidou était sou­vent com­pa­ré à un monarque d’Ancien régime.
    • Il inau­gure une nou­velle poli­tique, la Société libé­rale avan­cée avec Jacques Chirac comme Premier ministre
      Pendant les deux pre­mières années de son sep­ten­nat, de nom­breuses réformes sont adoptées.
      C’est la jeu­nesse qui est la pre­mière béné­fi­ciaire de cette volon­té pré­si­den­tielle de vou­loir chan­ger la socié­té. La majo­ri­té légale et donc élec­to­rale est abais­sée à 18 ans, l’électorat se rajeu­nit et devrait être plus récep­tif (selon le gou­ver­ne­ment) à la moder­ni­té poli­tique du Président.
      Le gou­ver­ne­ment s’adresse ensuite à une autre caté­go­rie “mino­ri­sée” de la socié­té fran­çaise, un secré­ta­riat d’Etat à la condi­tion fémi­nine est créé et confié à la jour­na­liste Françoise Giroud. Le 22 décembre 1974, la loi Veil (du nom de la pre­mière ministre femme de la Vème République) est votée, elle concerne la liber­té de contra­cep­tion et le rem­bour­se­ment par la sécu­ri­té sociale, des pro­duits contra­cep­tifs, ainsi que la libé­ra­li­sa­tion de l’interruption volon­taire de gros­sesse (IVG). Une autre loi faci­li­te­ra les pro­cé­dures de divorce, jusqu’ici fort com­pli­quées et fort lentes, mais sur­tout le divorce pour­ra être deman­dé par consen­te­ment mutuel, désor­mais l’égalité homme-femme est ins­crite dans la loi.
      L’amélioration des condi­tions des tra­vailleurs et des per­sonnes âgées, est un autre point de la poli­tique sociale du nou­veau gou­ver­ne­ment. Aux pre­miers, elle garan­tit en cas de chô­mage 90% du reve­nu pen­dant une année et l’augmentation du SMIC ; des dis­po­si­tions sont prises aussi sur la règle­men­ta­tion des licen­cie­ments col­lec­tifs ; aux seconds, on accorde l’augmentation du mini­mum vieillesse. Le gou­ver­ne­ment s’intéresse éga­le­ment aux han­di­ca­pés, une loi sur leur orien­ta­tion et leur inser­tion est approuvée.
      Quant à l’Education natio­nale, le ministre Haby fait voter une réforme qui ins­ti­tue un col­lège unique visant à don­ner à tous les mêmes chances.
      Le libé­ra­lisme du pré­sident et du gou­ver­ne­ment s’étend aussi à l’audiovisuel, l’ORTF est consti­tuée désor­mais en socié­tés indé­pen­dantes (Radio France, TF1, Antenne 2, FR3) aux­quelles on accorde un sta­tut d’autonomie. Le sta­tut de la ville de Paris est modi­fié, Paris aura son maire élu et une auto­no­mie de gestion.
      Enfin le 21 0ctobre 1974, on adopte une révi­sion de la Constitution don­nant le droit à 60 dépu­tés ou séna­teurs de ?sai­sir ? le Conseil consti­tu­tion­nel. Désormais, cette loi de ?sai­sine ? per­met­tra à un petit groupe d’exercer un contrôle légis­la­tif (la sai­sine est le droit de deman­der au Conseil consti­tu­tion­nel de contrô­ler la consti­tu­tion­na­li­té d’un trai­té ou d’une loi). Ce droit appar­te­nait exclu­si­ve­ment jusqu’alors au pré­sident de la République. Cette réforme témoigne de la volon­té du chef de l’Etat de “décris­per” aussi les rap­ports avec le Parlement. Mais la crise mon­diale révé­lée avec le choc pétro­lier de 1974 consé­cu­tif à la guerre du Kippour va enrayer le pro­ces­sus et tou­cher de plein fouet une éco­no­mie fran­çaise encore en trans­for­ma­tion et mettre à mal un tissu indus­triel encore fra­gile relan­çant l’in­fla­tion qui atteint des som­mets (14% par an).
    • Sur le plan exté­rieur, Valéry Giscard d’Estaing veut don­ner de la France une image moins arro­gante. Il sou­haite faire par­ta­ger aux Français sa concep­tion “mon­dia­liste” et veut “dépas­sion­ner” les rela­tions inter­na­tio­nales. Pour lui la concer­ta­tion doit rem­pla­cer la confrontation.
      • Malgré le chan­ge­ment de style du pré­sident Giscard d’Estaing, sa poli­tique étran­gère s’inscrit aussi dans la conti­nui­té de ses pré­dé­ces­seurs ; sur­tout en matière de défense, la poli­tique de VGE ne varie pas. Il est plus que jamais per­sua­dé de se main­te­nir en dehors de tout sys­tème qui pri­ve­rait la France de la maî­trise de sa sécurité.
      • Sous son sep­ten­nat, la construc­tion euro­péenne fran­chit trois pas impor­tants : la créa­tion et les réunions tri­san­nuelles du Conseil euro­péen (1974) devant har­mo­ni­ser les poli­tiques des dif­fé­rents Etats ; l’élection du Parlement euro­péen au suf­frage uni­ver­sel et l’institution d’un sys­tème moné­taire euro­péen (SME) en 1979. Ce sys­tème repré­sente une étape essen­tielle dans la voie de l’établissement d’une union moné­taire entre les Etats membres de la Communauté car il sta­bi­lise les rela­tions de change entre les mon­naies. Il ren­force aussi l’indépendance de ces mon­naies par rap­port au dol­lar, désor­mais, l’unité de réfé­rence devient l’ECU (euro­pean cur­ren­cy unit). La CEE s’élargit vers l’Europe médi­ter­ra­néenne avec l’entrée de la Grèce et entame des négo­cia­tions avec l’Espagne et le Portugal.
    • La prise de conscience de la crise
      Les plans éco­no­miques et finan­ciers du gou­ver­ne­ment pour ten­ter de sor­tir le pays de la crise éco­no­mique donnent des résul­tats miti­gés. Chirac avait tenté la poli­tique du “stop and go”, c’est-à-dire dans un pre­mier moment, la maî­trise de l’économie par des mesures d’encadrement (prix, cré­dit, salaires) et fis­cales (le stop), puis dans un deuxième temps, la relance de la consom­ma­tion (le go), mais rien ne peut empê­cher l’effondrement de la pro­duc­tion et la pro­gres­sion du chô­mage. Bientôt les dis­sen­sions entre VGE et son Premier ministre, amène ce der­nier à remettre sa démis­sion le 25 août 1976. Cette rup­ture dans l’exécutif résulte très cer­tai­ne­ment d’un conflit de per­son­na­li­té entre le Président et son Premier col­la­bo­ra­teur, mais sur­tout de l’attitude “inter­ven­tion­niste” de VGE qui tend le plus pos­sible à réduire le rôle de son Premier ministre, n’hésitant pas à le “lais­ser de côté”, s’adressant direc­te­ment aux ministres. Chirac excé­dé don­ne­ra sa démis­sion ; il sera rem­pla­cé par Raymond Barre appe­lé le “meilleur éco­no­miste de France.
    • La poli­tique de rigueur
      De 1976 à 1981, Raymond Barre met en oeuvre une poli­tique d’austérité dra­co­nienne, avec tout le pro­gramme clas­sique : blo­cage des prix, des tarifs publics, des loyers, aug­men­ta­tion des impôts et enca­dre­ment du cré­dit. Etant pri­vés désor­mais du sou­tien de l’Etat, des sec­teurs indus­triels connaissent de très grosses dif­fi­cul­tés, des régions entières sont tou­chées par la crise, le chô­mage aug­mente sérieu­se­ment, sur­tout dans les caté­go­ries les plus fra­giles comme les jeunes et les femmes. Cette situa­tion pro­voque des mani­fes­ta­tions, des grèves de la part des tra­vailleurs qui se sentent mena­cés dans leurs reven­di­ca­tions et dans leur pou­voir d’achat. De plus, l’adoption de lois sur la sécu­ri­té, jus­ti­fiée par la mon­tée de la vio­lence et sur­tout la loi sur la réforme uni­ver­si­taire ren­for­çant la sélec­tion des étu­diants et dimi­nuant l’autonomie des uni­ver­si­tés aug­mentent l’impopularité du gouvernement.
    • les pré­mices de la défaite
      Les der­nières années du sep­ten­nat sont semées de dif­fi­cul­tés de toute sorte, du second choc pétro­lier en 1979 qui annule les pre­miers résul­tats du plan Barre, (l’in­fla­tion n’est pas mai­tri­sée, le chô­mage passe de 420,000 en 1974 à plus de un mil­lion et demi à la veille de 1981.
      Le mécon­ten­te­ment social gran­dit, la majo­ri­té se divise ( fon­da­tion du RPR par Jacques Chirac en 1976, créa­tion de l’UDF en 1978), la gauche devient de plus en plus puis­sante même si le pro­gramme com­mun éclate en 1977. De plus, une série de scan­dales (décès inex­pli­qué du ministre du Travail Robert Boulin, assas­si­nat du prince de Broglie, affaire des dia­mants don­nés au Président par Bokassa, dic­ta­teur du Centre Afrique) aggravent la situa­tion. La presse et l’opposition sau­ront bien exploi­ter ces fac­teurs de crise qui dis­cré­ditent le régime. Lors des légis­la­tives de 1978 la majo­ri­té l’emporte de jus­tesse mais sa divi­sion condui­ra à la défaite de Valéry Giscard d’Estaing face à François Mitterrand le 10 mai 1981 confir­mant du même coup à gauche le déclin du Parti com­mu­niste et la mon­tée de la gauche non com­mu­niste avec le suc­cès gran­dis­sant du Parti Socialiste
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