Fautes courantes en Français (03)

Temps de lec­ture : 7 minutes

Ce nou­vel article pro­pose l’exa­men d’autres expres­sions et for­mu­la­tions incor­rectes ainsi que leurs cor­rec­tions et explications.

Comme dans les deux articles pré­cé­dents, nous nous fon­dons sur les recom­man­da­tions et avis de l’Académie fran­çaise, réfé­rence indis­pen­sable en la matière, à notre avis. Voici donc quelques abus de lan­gage à éviter :

Expressions incor­rectes Expressions cor­rectes
à par­tir de dorénavant doré­na­vant / à par­tir de maintenant[1]
à son instar à l’ins­tar de X[2]
un aéropage[3] de chefs d’entreprise un aréo­page de chefs d’entreprise
arborigène[4] abo­ri­gène
au début que nous avions collaboré dans les pre­miers temps où / que nous …
au plan moral / au plan de la morale sur le plan moral / de la morale
avoir de l’emprise sur quelqu’un[5] avoir de l’empire / de l’in­fluence sur quelqu’un
avoir impérieusement[6] besoin de quelque chose avoir impé­ra­ti­ve­ment besoin de quelque chose
ceci dit cela dit[7]
conjoin­te­ment à conjoin­te­ment avec
je le consi­dère intelligent je le consi­dère comme intelligent[8]
contac­ter quelqu’un prendre contact avec quelqu’un[9]
débattre d’une question débattre une question
débu­ter une action[10] com­men­cer une action
décla­ra­tion d’impôts décla­ra­tion de revenus[11]
démar­rer une nou­velle tâche[12] entre­prendre une nou­velle tâche
des dégâts sévères[13] des dégâts importants
erreur sémantique[14] erreur lexi­cale
X et / ou Y[15] X et Y, ou alors X ou Y
il a mal aux dents, ça le lance il a mal aux dents, ça lui élance
il s’est acca­pa­ré de tous les pouvoirs il a acca­pa­ré tous les pouvoirs
il s’est fait ago­ni­ser d’injures il s’est fait ago­nir d’injures
il s’y est pris à l’avance[16] il s’y est pris d’a­vance / par avance
je vous pré­sente mon époux / mon épouse[17] je vous pré­sente mon mari / ma femme
Je vous remer­cie pour m’a­voir invité[18] Je vous remer­cie de m’a­voir invité
la déser­ti­fi­ca­tion des campagnes[19] la dépo­pu­la­tion des campagnes
la junte mili­taire a com­mis de nom­breuses exactions[20] la junte mili­taire a com­mis de nom­breux crimes
l’ac­cep­ta­tion de ce mot[21] l’ac­cep­tion de ce mot
le tour­noi 2014 fut un très bon cru Le tour­noi 2014 fut un très bon millésime[22]
le tra­fic routier[23] la cir­cu­la­tion routière
Léa a clô­tu­ré les débats[24] Léa a clos les débats
l’en­fant prodige l’en­fant prodigue[25]
notre maire brigue une nou­velle mandature notre maire brigue un nou­veau mandat[26]
nous sommes arri­vés au tout début[27] nous sommes arri­vés tout au début
on va ini­tier ce projet[28] on va com­men­cer / lan­cer ce projet
Le par­le­ment a oppo­sé son veto[29] Le par­le­ment a mis son veto
cette potion est une pana­cée universelle[30] cette potion est une panacée
par ailleurs[31] d’autre part, pour le reste
per­pé­tuer un crime[32] per­pé­trer un crime
sa bêtise est conco­mi­tante à son ignorance sa bêtise est conco­mi­tante de son ignorance
sabler le champagne[33] sabrer le champagne
se perdre en conjonctures[34] se perdre en conjectures
s’in­ves­tir dans quelque chose[35] inves­tir son éner­gie dans quelque chose, s’im­pli­quer dans quelque chose
tu as com­bien de tem­pé­ra­ture ?[36] tu as com­bien de fièvre ?
tirer des conséquences tirer des conclusions
un endroit incontournable[37] un endroit où il faut abso­lu­ment aller
un homme frustre[38] un homme fruste
un bureau convivial[39] un bureau agréable
une double alternative[40] un double choix
une émis­sion dif­fu­sée depuis Moscou[41] une émis­sion dif­fu­sée de Moscou
des étu­diants y com­pris fatigués[42] aussi des étu­diants fatigués
tu as fait le gravage[43] du CD ? tu as fait la gra­vure du CD ?
il fau­dra convo­quer les personnels il fau­dra convo­quer le personnel[44]
Ce n’est pas de ma faute Ce n’est pas ma faute
tu as can­di­da­té pour cette place ?[45] tu as pos­tu­lé pour cette place ?

[1] Dorénavant signi­fie “à par­tir de main­te­nant”. Donc, à par­tir de doré­na­vant veut dire “à par­tir d’à par­tir de main­te­nant”, ce qui fait quand même beau­coup. À com­pa­rer au fameux au jour d’au­jourd’­hui, tout aussi pléonastique.

[2] À l’ins­tar de est une locu­tion pré­po­si­tion­nelle, comme en face de, etc. On ne peut donc conver­tir ins­tar en nom et le faire pré­cé­der d’un déter­mi­nant, tout comme on ne peut trans­for­mer en face de X en *en sa face, même si ins­tar en latin et face en fran­çais sont des noms.

[3] *Aéropage n’existe pas.

[4] La signi­fi­ca­tion d’abo­ri­gène est “qui est ori­gi­naire du pays où il vit” (TLFI). Pour une rai­son étrange, il est sou­vent trans­for­mé en *arbo­ri­gène, nom qui n’existe pas. Probablement faut-il y voir une influence d’arbre, dans la mesure où l’on parle sou­vent des abo­ri­gènes de pays loin­tains, tro­pi­caux, etc. De là à évo­quer la végé­ta­tion des pays chauds, il n’y a qu’un pas que l’é­ty­mo­lo­gie popu­laire a allé­gre­ment fran­chi : les “arbo­ri­gènes” sont des êtres humains qui vivent dans les arbres …

[5] Emprise signi­fiait “prise”, notam­ment “prise militaire”.

[6] Impérieux signi­fie “auto­ri­taire”, “très pressant”.

[7] Ceci (comme voici) se réfère aux choses proches ou à venir, dans l’es­pace et dans le temps. Cela et voilà nomment donc les choses éloi­gnées ou dont on a déjà parlé.

[8] Considérer uti­li­sé sans comme est un anglicisme.

[9] Contacter signi­fie “tou­cher un autre corps”, notam­ment dans le domaine tech­nique. Le glis­se­ment méta­pho­rique que l’on connaît est reje­té par l’Académie française.

[10] Débuter est un verbe stric­te­ment intransitif.

[11]Déclarer ses impôts signi­fie­rait que l’on aurait le choix du mon­tant de la dou­lou­reuse. Hélas, c’est l’ad­mi­nis­tra­tion qui exa­mine notre décla­ra­tion de reve­nus et qui pro­cède au cal­cul implacable …

[12] Démarrer signi­fie “enle­ver les amarres” ; ainsi, on démarre un bateau, mais on fait démar­rer une voi­ture. L’emploi méta­pho­rique de démar­rer est condam­né par l’Académie.

[13] Anglicisme séman­tique, intro­duit pen­dant la pre­mière guerre mon­diale. Sévère doit avoir un réfé­rent humain.

[14] De nos jours, on entend trop sou­vent erreur (inno­va­tion, etc.) séman­tique pour erreur lexi­cale. Rappelons que séman­tique a trait au sens, alors que lexi­cal se rap­porte au lexique, donc aux mots. Celui qui se trompe de mots ne fait donc pas d’er­reur séman­tique, mais bel et bien lexicale.

[15] Et / ou est éga­le­ment un angli­cisme. La construc­tion fran­çaise est certes plus longue, mais elle a le mérite d’être cou­leur locale …

[16] Les puristes condamnent à l’a­vance, même s’il est lar­ge­ment utilisé.

[17] Époux et épouse, à l’ins­tar de véhi­cule, domi­cile, indi­vi­du, etc., res­sor­tissent au lexique admi­nis­tra­tif, offi­ciel, sinon juri­dique. D’aucuns croient par­ler élé­gam­ment en uti­li­sant époux ou épouse, mais il n’en est rien. C’est ce que l’on appelle de l’hy­per­cor­rec­tion : uti­li­ser des mots, tour­nures, etc., qui sont fau­tifs, en croyant par­ler bien ou mieux.

[18] Si l’on tolère que merci soit suivi au choix de de ou de pour (exemple : merci pour ce moment …), il n’en va pas de même pour le verbe remer­cier, pour lequel les puristes pré­co­nisent l’u­sage de la seule pré­po­si­tion de.

[19] la déser­ti­fi­ca­tion est la trans­for­ma­tion d’une zone semi-aride en désert. Même si cer­taines zones rurales fran­çaises perdent de leurs habi­tants, il est pro­ba­ble­ment exa­gé­ré d’y voir des déserts ; la simple dépo­pu­la­tion est suf­fi­sante.

[20] Le TLFI donne pour exac­tion la défi­ni­tion sui­vante : “action d’exi­ger par la force le paye­ment de ce qui n’est pas dû”, et par exten­sion : “mau­vais trai­te­ment, acte de vio­lence”. Même s’il est mora­le­ment condam­nable de com­mettre des exac­tions, cela reste moins grave que la per­pé­tra­tion de crimes.

[21] Acceptation signi­fie “accord” et accep­tion “signi­fi­ca­tion”. Voilà un cas de paro­ny­mie rela­ti­ve­ment fréquent.

[22] Cru se rap­porte au lieu d’o­ri­gine (d’un pro­duit, etc.), mil­lé­sime à l’an­née. Parler d’une année comme d’un bon (ou mau­vais) cru pro­duit un téles­co­page spa­tio­tem­po­rel intéressant …

[23] Anglicisme (traf­fic) ; en fran­çais, tra­fic signi­fie “négoce, com­merce”, en bonne ou mau­vaise part.

[24] Clôturer signi­fie “fer­mer avec une clô­ture”. On doit donc clore un débat, voire le conclure.

[25] Un enfant pro­dige est un enfant très doué. Pour par­ler d’une per­sonne géné­reuse, il faut dire enfant pro­digue.

[26] Mandature est un néo­lo­gisme reje­té par l’Académie, qui le qua­li­fie d’ ”inutile” en rai­son de l’exis­tence de man­dat et qui pointe du doigt cette manie d’aug­men­ter la taille de cer­tains mots, pro­ba­ble­ment pour gon­fler l’im­por­tance des choses ou des faits qu’ils nomment.

[27] Tout signi­fiant ici “tota­le­ment”, il ne peut être inclus entre l’ar­ticle et le nom.

[28] Anglicisme ! Le verbe fran­çais ini­tier signi­fie “trans­mettre un enseignement”.

[29] Veto signi­fie en latin “je m’op­pose”. De ce fait, oppo­ser son veto est pléo­nas­tique.

[30] Une pana­cée est déjà uni­ver­selle, car cette idée d’u­ni­ver­sa­li­té est pré­sente dans le pré­fixe grec pan- qui signi­fie “tout” : une pana­cée gué­rit tout (ou est cen­sée le faire).

[31] L’Académie a enre­gis­tré par ailleurs tar­di­ve­ment, en 1932, pro­ba­ble­ment sous la pres­sion de l’u­sage. Il est vrai que cette locu­tion adver­biale n’est pas de la meilleure forme.

[32] Perpétuer signi­fie “faire durer très long­temps, voire éter­nel­le­ment”. Un autre dan­ger de la paronymie.

[33] Sabler le cham­pagne signi­fie “boire [le cham­pagne], plu­tôt rapi­de­ment”, la seconde expres­sion “ouvrir la bou­teille d’un coup de sabre” ; aujourd’­hui, c’est la débou­cher en géné­ral. On ne peut donc uti­li­ser indif­fé­rem­ment l’une ou l’autre expres­sion, toutes deux ayant des sens dif­fé­rents. On choi­si­ra donc sabler si l’on veut insis­ter sur la rapi­di­té de consom­ma­tion, et sabrer pour mettre en relief le seul fait d’ou­vrir une bouteille.

[34] Une conjec­ture est une idée non véri­fiée, erro­née ou inutile. La conjonc­ture est un ensemble de cir­cons­tances à un moment précis

[35] L’acception d’inves­tir dans ce champ séman­tique est “mettre son éner­gie psy­chique dans quelque chose” (défi­ni­tion du TLFI). Il s’a­git à l’o­ri­gine d’un terme de psy­cha­na­lyse. La forme pro­no­mi­nale est un solécisme.

[36] Une tem­pé­ra­ture peut être très basse, voire infé­rieure à zéro. De ce fait, c’est la fièvre qui indique l’é­lé­va­tion anor­male de la température.

[37] : De nos jours, les choses ne sont plus indis­pen­sables, mais “incon­tour­nables”. La méta­phore est aisée à com­prendre mais elle est dans l’ou­trance séman­tique, comme nombre d’exa­gé­ra­tions contemporaines.

[38] Frustre est un exemple inté­res­sant de mot-valise com­po­sé de rustre et de frus­tré. Quelqu’un de “frustre” est-il donc un pay­san qui n’as­sume pas sa condition ?

[39] Convivial est uti­li­sé fau­ti­ve­ment avec le sens de “facile” ou “agréable”, notam­ment dans la publi­ci­té ou les notices des appa­reils modernes. Rappelons que convi­vial a le sens de “qui se rap­porte aux repas, aux festins”.

[40] Une alter­na­tive est un choix entre deux pos­si­bi­li­tés ; on dira donc plu­tôt un double choix, pour évi­ter le pléo­nasme. En effet : par­ler de double alter­na­tive équi­vaut à convo­quer quatre choix …

[41] Depuis intro­duit des com­plé­ments de temps, non de lieu.

[42] Y com­pris ne peut pas pré­cé­der un adjec­tif, car il attire l’at­ten­tion sur un ou des élé­ments que l’on peut inclure ((com­prendre) dans le groupe que l’on vient d’é­vo­quer. Cet usage irrai­son­né d’y com­pris res­sor­tit à la langue jour­na­lis­tique laquelle, en vou­lant dire davan­tage, dit mal …

[43] *gra­vage n’existe pas ! On se conten­te­ra donc de faire une gra­vure

[44] Le nom per­son­nel est un nom col­lec­tif sin­gu­lier. Si l’on tient à uti­li­ser un nom au plu­riel, on dira les employés, les sala­riés.

[45] De nos jours, il semble très facile de construire un verbe sur un nom, le verbe ayant alors le sens de “faire l’ac­tion sous-entendue par la signi­fi­ca­tion du nom”. C’est un peu facile, et c’est ainsi que l’on abou­tit à d’é­tranges objets lexi­caux à l’ins­tar de ce can­di­da­ter. Notons que, très sou­vent, ces néo­lo­gismes abu­sifs sont inutiles car il existe déjà des verbes ayant exac­te­ment leur conte­nu séman­tique, comme pos­tu­ler dans l’exemple que nous donnons.

Françoise Nore

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