Honoré de Balzac – Mémoires de deux jeunes mariées – la dimension critique

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Le titre donné par Balzac à l’ensemble de son œuvre, “La Comédie humaine”, indique une volon­té cri­tique : il s’agit, comme le fai­saient les auteurs de pièces de théâtre, en met­tant en évi­dence les ridi­cules et les abus, de dénon­cer, à tra­vers le com­por­te­ment des per­son­nages, le fonc­tion­ne­ment de la socié­té. C’est d’ailleurs cette image que donnent les lettres de Louise à Renée, d’où sa com­pa­rai­son : « Durant cette vie ani­mée par les fêtes, par les angoisses de l’amour, par ses colères et par ses fleurs que tu me dépeins, et à laquelle j’assiste comme à une pièce de théâtre bien jouée, je mène une vie mono­tone et réglée à la manière d’une vie de couvent. » (lettre XXV) L’étude de cette dimen­sion cri­tique per­met de déga­ger les concep­tions de Balzac.

La vie politique

Balzac et la monarchie

Le père de Louise joue un rôle actif dans la vie poli­tique de son temps, comme le fera par la suite l’époux de Renée, tan­dis que le baron de Macumer, lui, en a subi dou­lou­reu­se­ment le poids.
Si Felipe s’inscrit, par sa lutte contre le roi d’Espagne Ferdinand, dans le parti des libé­raux, le père de Louise, lui, dans le camp des “ultras”, sou­tient le pou­voir de Charles X, dont il devient l’ambassadeur en Espagne : « Ce matin mon père a refu­sé le minis­tère qui lui a été pro­po­sé. De là sa pré­oc­cu­pa­tion de la veille. Il pré­fère une ambas­sade, a‑t-il dit, aux ennuis des dis­cus­sions publiques. L’Espagne lui sou­rit. » (lettre II)

Le roman tra­duit l’évolution des idées poli­tiques de Balzac, qui, s’il consi­dé­rait dans sa jeu­nesse que l’absolutisme ne pou­vait se pour­suivre dans une socié­té moderne, est reve­nu à des concep­tions monar­chiques sem­blables à celles des “ultras” et se livre à une vio­lente dénon­cia­tion de la démo­cra­tie :
En cou­pant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé la tête à tous les pères de famille. Il n’y a plus de famille aujourd’hui, il n’y a plus que des indi­vi­dus. En vou­lant deve­nir une nation, les Français ont renon­cé à être un empire. En pro­cla­mant l’égalité des droits à la suc­ces­sion pater­nelle, ils ont tué l’esprit de famille, ils ont créé le fisc ! Mais ils ont pré­pa­ré la fai­blesse des supé­rio­ri­tés et la force aveugle de la masse, l’extinction des arts, le règne de l’intérêt per­son­nel et frayé les che­mins à la Conquête. Nous sommes entre deux sys­tèmes : ou consti­tuer l’État par la Famille, ou le consti­tuer par l’intérêt per­son­nel : la démo­cra­tie ou l’aristocratie, la dis­cus­sion ou l’obéissance, le catho­li­cisme ou l’indifférence reli­gieuse, voilà la ques­tion en peu de mots. J’appartiens au petit nombre de ceux qui veulent résis­ter à ce qu’on nomme le peuple, dans son inté­rêt bien com­pris. Il ne s’agit plus ni de droits féo­daux, comme on le dit aux niais, ni de gen­til­hom­me­rie, il s’agit de l’État, il s’agit de la vie de la France ». (lettre XII)

Les pri­vi­lèges de la naissance

Occupée de l’ascension sociale de son époux, Renée évoque plus que Louise le fonc­tion­ne­ment de la vie poli­tique. Elle y montre, notam­ment, le jeu des influences pour l’obtention des postes, dès sa pre­mière nomi­na­tion : « J’espère le voir bien­tôt membre du Conseil-Général de son dépar­te­ment par l’influence de ma famille et de celle de sa mère » (lettre XIII) C’est pour­quoi elle sol­li­cite l’appui de Louise : « « Louis, ma chère, a obte­nu la croix de la Légion‑d’Honneur quand il a été nommé membre du conseil-général. Or, comme voici bien­tôt trois ans qu’il est du conseil, et que mon père, que tu ver­ras sans doute à Paris pen­dant la ses­sion, a deman­dé pour son gendre le grade d’officier, fais-moi le plai­sir d’entreprendre le mama­mou­chi quel­conque que cette nomi­na­tion regarde, et de veiller à cette petite chose. » (lettre XL)

Le chan­ge­ment de monar­chie à la suite des jour­nées de juillet qui met au pou­voir un “roi-citoyen”, ne modi­fie pas, en fait, ce fonc­tion­ne­ment, ras­su­rant pour la noblesse : « Enfin le comte de l’Estorade n’est-il pas pair de la France semi-républicaine de Juillet ? n’est-il pas un des sou­tiens de la cou­ronne offerte par le peuple au roi des Français ? puis-je avoir des inquié­tudes en ayant pour ami un pré­sident de chambre à la cour des comptes, un grand finan­cier ? Ose dire que je suis folle ! Je cal­cule presque aussi bien que ton roi-citoyen. » (lettre XLVIII)

Quel que soit le pou­voir, il s’agit tou­jours de main­te­nir les pri­vi­lèges, comme l’affirme Renée, « Mon père siège entre le centre et la droite, il ne demande qu’un titre ; notre famille était déjà célèbre sous le roi René, le roi Charles X ne refu­se­ra pas un Maucombe », et c’est ce que confirme Louise à pro­pos de la charge accor­dée à son frère :
Notre char­mant roi, qui vrai­ment est d’une bonté admi­rable, a donné à mon frère la sur­vi­vance de la charge de pre­mier gen­til­homme de la chambre dont est revê­tu son beau-père.
— La charge doit aller avec les titres, a‑t-il dit au duc de Lenoncourt-Givry.
Mon père avait cent fois rai­son. Sans ma for­tune, rien de tout cela n’aurait eu lieu. Mon père et ma mère sont venus de Madrid pour ce mariage, et y retournent après la fête que je donne demain aux nou­veaux mariés
. (lettre XLI)

L’image du pouvoir

On note­ra que la for­tune joue éga­le­ment un rôle dans l’accession au pou­voir. Sous Charles X, par exemple, la « Charte » exige d’avoir 30 ans et de payer un impôt de 300 francs pour pou­voir élire des députes, et, pour être éli­gible, il faut avoir 40 ans et la contri­bu­tion s’élève à 1000 francs.
Or, Balzac donne une image plu­tôt péjo­ra­tive du pou­voir. Les intrigues règnent, le but n’est pas tant de ser­vir l’intérêt du pays, mais son inté­rêt per­son­nel. Ainsi Renée explique : « Je te remer­cie d’avoir mis Louis aussi bien en cour qu’il l’est ; mais mal­gré l’estime que font de lui mes­sieurs de Bourmont et de Polignac, qui veulent l’avoir dans leur minis­tère, je ne le sou­haite point si fort en vue : on est alors trop com­pro­mis. Je pré­fère la cour des comptes à cause de son inamo­vi­bi­li­té. » (lettre LV) Il n’est aussi guère ques­tion de com­pé­tences ou de grands talents, à en juger par la des­crip­tion de la car­rière de son époux :
Naturellement, la nou­velle dynas­tie a nommé Louis pair de France et grand-officier de la Légion‑d’Honneur. Du moment où l’Estorade prê­tait ser­ment, il ne devait rien faire à demi ; dès lors, il a rendu de grands ser­vices dans la Chambre. Le voici main­te­nant arri­vé à une situa­tion où il res­te­ra tran­quille­ment jusqu’à la fin de ses jours. Il a de la dex­té­ri­té dans les affaires ; il est plus par­leur agréable qu’orateur, mais cela suf­fit à ce que nous deman­dons à la poli­tique. Sa finesse, ses connais­sances soit en gou­ver­ne­ment soit en admi­nis­tra­tion sont appré­ciées, et tous les par­tis le consi­dèrent comme un homme indis­pen­sable. » (lettre LI)

Malgré ces cri­tiques, nul sou­hait révo­lu­tion­naire chez Balzac, et encore moins d’utopie. Il reste légi­ti­miste, atta­ché à la tra­di­tion et à l’Église, déplo­rant bien plus tout la médio­cri­té des hommes qui exercent le pou­voir, que sa forme .

L’image de la famille

L’absence de sentiments

Quand elle quitte le couvent et retrouve sa famille, Louise n’y trouve aucune réelle affec­tion, ce qu’elle raconte dans sa pre­mière lettre :
- De la part de sa mère, dont elle n’a reçu que « deux lettres en huit ans de couvent, « une grâce par­faite » : « elle ne m’a pas témoi­gné de fausse ten­dresse, elle n’a pas été froide, elle ne m’a pas trai­tée en étran­gère, elle ne m’a pas mise dans son sein comme une fille aimée ; elle m’a reçue comme si elle m’eût vue la veille ». Elle adopte donc une forme de dis­tance aimable.
- De la part de son père, nous retrou­vons l’image d’une sorte de comé­die : « Mon père a pris sou­dain pour moi les manières les plus tendres ; il a si par­fai­te­ment joué son rôle de père que je lui en ai cru le cœur. »

Elle mesure très vite aussi l’absence d’amour entre ses parents : « Combien de pen­sées sin­gu­lières m’ont assaillie en voyant clai­re­ment que ces deux êtres, éga­le­ment nobles, riches, supé­rieurs, ne vivent point ensemble, n’ont rien de com­mun que le nom, et se main­tiennent unis aux yeux du monde. » D’ailleurs, elle com­prend très vite que sa mère a un amant, d’où son iro­nie : « Monsieur de Saint-Héreen est le jeune homme qui cultive la socié­té de ma mère, et qui étu­die sans doute avec elle la diplo­ma­tie de trois heures à cinq heures » Celle-ci ne s’en cache même pas, ce qui prouve que, fina­le­ment, l’adultère est admis comme une pra­tique cou­rante : « Mon père et ma mère sont par­tis pour Madrid : Louis XVIII mort, la duchesse a faci­le­ment obte­nu de notre bon Charles X la nomi­na­tion de son char­mant Saint-Héreen, qu’elle emmène en qua­li­té de second secré­taire d’ambassade. » (lettre XX) Mais l’accusation ne vise pas les per­son­nages eux-mêmes, mais la socié­té, plus par­ti­cu­liè­re­ment ces mariages arran­gés, aux­quels les femmes doivent se sou­mettre : « Si l’amour est la vie du monde, pour­quoi d’austères phi­lo­sophes le suppriment-ils dans le mariage ? Pourquoi la Société prend-elle pour loi suprême de sacri­fier la Femme à la Famille en créant ainsi néces­sai­re­ment une lutte sourde au sein du mariage ? » (lettre XX) Peu importe si la « fille pleure », la famille doit l’emporter : il faut qu’« elle plie sous l’ascendant irré­sis­tible de votre majes­tueuse auto­ri­té pater­nelle. » (lettre XXIV)

L’importance de l’argent

- Dans le mariage
Mais, si son héroïne Renée, accepte le mariage ainsi arran­gé, qu’en est-il de Balzac ? Est-il d’accord avec cette opi­nion qu’elle exprime : « Mon phi­lo­sophe de l’Aveyron a rai­son de consi­dé­rer la famille comme la seule unité sociale pos­sible et d’y sou­mettre la femme comme elle l’a été de tout temps. » ?
En fait, Balzac cri­tique sur­tout le rôle que joue l’argent dans ces mariages si mal assor­tis, celui du frère de Louise par exemple, dont la future épouse « Mademoiselle de Mortsauf, petite-fille et unique héri­tière du duc de Lenoncourt-Givry, réuni­ra, dit-on, plus de cent mille livres de rente. » C’est ce qu’explique lon­gue­ment Renée, dans la lettre V, en annon­çant son mariage à Louise, « sans dot » de la part de ses parents, dot com­pen­sée par la for­tune appor­tée par le père de son futur époux : « néan­moins j’ai consen­ti gra­cieu­se­ment à deve­nir madame de l’Estorade, à me lais­ser doter de deux cent cin­quante mille livres. »

- L’héritage
Il est donc impor­tant de pré­ser­ver le patri­moine fami­lial, ce qui implique de veiller à l’héritage, à la fois à son mon­tant mais aussi à qui le reçoit. Cela entraîne de véri­tables injus­tices, tel le sou­hait qu’une fille devienne reli­gieuse pour que l’argent revienne à ses frères, d’où le regret du retour de Louise dans sa famille expri­mé par son père, sans le moindre sen­ti­ment. Son retour empêche d’utiliser l’argent de sa fille pour res­tau­rer l’hôtel par­ti­cu­lier de la famille, ce qui indigne la jeune fille : « Eh ! quoi, mon père, au lieu d’employer cette somme à me marier, me lais­sait mou­rir au couvent ? » Il espère donc com­pen­ser cette perte par un riche mariage :
votre grand’mère vous a lais­sé cinq cent mille francs qui étaient ses éco­no­mies, car elle n’a point voulu frus­trer sa famille d’un seul mor­ceau de terre. Cette somme a été pla­cée sur le grand-livre. L’accumulation des inté­rêts a pro­duit aujourd’hui envi­ron qua­rante mille francs de rente. Je vou­lais employer cette somme à consti­tuer la for­tune de votre second frère ; aussi dérangez-vous beau­coup mes pro­jets ; mais dans quelque temps peut-être y concourrez-vous. (lettre II)

C’est d’ailleurs ce qui guide la vie de Renée, qui, comme elle a accep­té le mariage arran­gé, a tota­le­ment accep­té ce fonc­tion­ne­ment de l’hé­ri­tage, qui favo­rise l’aîné par le « majo­rat » en lui léguant la terre et les titres, et oblige donc à assu­rer une for­tune aux autres enfants :
Tu nous as raillés d’avoir gardé la place de pré­sident de chambre à la Cour des comptes, que nous tenions, ainsi que le titre de comte, de la faveur de Charles X ; mais est-ce avec qua­rante mille livres de rentes, dont trente appar­tiennent à un majo­rat, que je pou­vais conve­na­ble­ment éta­blir Athénaïs et ce pauvre petit men­diant de René ? Ne devions-nous pas vivre de notre place, et accu­mu­ler sage­ment les reve­nus de nos terres ? En vingt ans nous aurons amas­sé envi­ron six cent mille francs, qui ser­vi­ront à doter et ma fille et René, que je des­tine à la marine. Mon petit pauvre aura dix mille livres de rentes, et peut-être pourrons-nous lui lais­ser en argent une somme qui rende sa part égale à celle de sa sœur. Quand il sera capi­taine de vais­seau, mon men­diant se marie­ra riche­ment, et tien­dra dans le monde un rang égal à celui de son aîné. (lettre LI)

- Dans la vie quo­ti­dienne
Dans le roman, tant pour Renée que pour Louise, l’argent est omni­pré­sent. Dès son retour dans sa famille, Louise reçoit de son père une somme impor­tante, consa­crée, en fait, à tenir son rang dans le monde : « Vous trou­ve­rez douze mille francs dans cette bourse. C’est une année du reve­nu que je vous accorde pour votre entre­tien. » (lettre II) Il est plai­sant aussi de consta­ter, alors même qu’elle met au pre­mier plan, dans ses choix d’existence, l’amour subli­mé, que Louise est loin d’ou­blier l’argent. Par exemple, der­rière l’isolement du couple formé avec Marie Gaston et sa déci­sion de mener une vie à l’écart du monde, le maté­ria­lisme ration­nel reste très pré­sent : « Tout au Chalet est d’une admi­rable sim­pli­ci­té, de cette sim­pli­ci­té qui coûte cent mille francs. » (lettre XLIX) Les expli­ca­tions, lon­gue­ment déve­lop­pées dans la lettre XLVIII, accu­mulent les chiffres, et montrent que Louise est deve­nue une ges­tion­naire avi­sée de sa for­tune :
Comptons ! La cloche fon­due, il m’est resté de la for­tune de mon pauvre Macumer envi­ron douze cent mille francs. Je vais te rendre un compte fidèle en sœur bien apprise. J’ai mis un mil­lion dans le trois pour cent quand il était à cin­quante francs, et me suis fait ainsi soixante mille francs de rentes au lieu de trente que j’avais en terres. Aller six mois de l’année en pro­vince, y pas­ser des baux, y écou­ter les doléances des fer­miers, qui paient quand ils veulent, s’y ennuyer comme un chas­seur par un temps de pluie, avoir des den­rées à vendre et les céder à perte ; habi­ter à Paris un hôtel qui repré­sen­tait dix mille livres de rentes, pla­cer des fonds chez des notaires, attendre les inté­rêts, être obli­gée de pour­suivre les gens pour avoir ses rem­bour­se­ments, étu­dier la légis­la­tion hypo­thé­caire ; enfin avoir des affaires en Nivernais, en Seine-et-Marne, à Paris, quel far­deau, quels ennuis, quels mécomptes et quelles pertes pour une veuve de vingt-sept ans ! Maintenant ma for­tune est hypo­thé­quée sur le bud­get. Au lieu de payer des contri­bu­tions à l’État, je reçois de lui, moi-même, sans frais, trente mille francs tous les six mois au Trésor, d’un joli petit employé qui me donne trente billets de mille francs et qui sou­rit en me voyant.

L’hypocrisie sociale

Le règne de l’apparence

Mais, comme Molière, La Fontaine, La Bruyère, Madame de La Fayette, et tant d’autres écri­vains des siècles pré­cé­dents, Balzac s’emploie à peindre une socié­té où triomphe l’hypocrisie, car cha­cun, comme placé sur scène sous le regard des autres, porte un masque.
Le pre­mier masque vient de l’apparence exté­rieure, par exemple l’élaboration de la toi­lette pour les femmes, comme l’observe Louise au bal : « Chacune d’elles avait ses fidèles, elles s’observaient toutes du coin de l’œil, plu­sieurs brillaient d’une beau­té triom­phante » Pour les hommes, ce sont les équi­pages, les che­vaux aussi qui valo­risent la parade aux Champs-Élysées : « Quand, par un beau soleil et par une belle gelée de jan­vier, alors que les arbres des Champs-Élysées sont fleu­ris de grappes blanches étoi­lées, nous pas­sons, Felipe et moi, dans notre coupé, devant tout Paris, réunis là où nous étions sépa­rés l’année der­nière. » (lettre XXX)
Sur la scène de la vie mon­daine se livrent de véri­tables per­for­mances d’acteurs, où l’apparence phy­sique est com­plé­tée par les jeux de séduc­tion, ce que sou­lignent les méta­phores dans le dis­cours de Louise : « Je suis donc armée de toutes pièces, et puis par­cou­rir le cla­vier de la coquet­te­rie depuis les notes les plus graves jusqu’au jeu le plus flûté. » (lettre III)

La dis­si­mu­la­tion

Si Louise est encore naïve au débit du roman, sa mère l’initie rapi­de­ment aux exi­gences de la vie sociale, en lui appre­nant à mas­quer aussi ce qu’elle res­sent et à contrô­ler ses paroles : « Cette recom­man­da­tion m’a fait com­prendre les sen­sa­tions sur les­quelles nous devons gar­der le silence avec tout le monde, même peut-être avec notre mère. J’ai mesu­ré d’un coup d’œil le vaste champ des dis­si­mu­la­tions femelles. » (lettre IV) Le mépris est ici évident, et la cri­tique est par­ti­cu­liè­re­ment vio­lente dans la bouche de Renée, qui jus­ti­fie la pro­tec­tion des enfants afin qu’ils ne soient pas cor­rom­pus par les men­songes sociaux :
Ainsi dans les familles où l’on conserve les enfants, ils y sont trop tôt expo­sés au feu du monde, ils en voient les pas­sions, ils en étu­dient les dis­si­mu­la­tions. Incapables de devi­ner les dis­tinc­tions qui régissent la conduite des gens faits, ils sou­mettent le monde à leurs sen­ti­ments, à leurs pas­sions, au lieu de sou­mettre leurs dési­rs et leurs exi­gences au monde ; ils adoptent le faux éclat, qui brille plus que les ver­tus solides, car c’est sur­tout les appa­rences que le monde met en dehors et habille de formes men­teuses. Quand, dès quinze ans, un enfant a l’assurance d’un homme qui connaît le monde, il est une mons­truo­si­té, devient vieillard à vingt-cinq ans, et se rend par cette science pré­coce, inha­bile aux véri­tables études sur les­quelles reposent les talents réels et sérieux. Le monde est un grand comé­dien ; et, comme le comé­dien, il reçoit et ren­voie tout, il ne conserve rien. (lettre LI)

POUR CONCLURE

Comment ne pas pen­ser, face à ces cri­tiques, à la vie même de Balzac ? Pensionnaire de 8 à 14 ans, il n’a guère connu la ten­dresse d’une mère, elle-même mariée jeune, pour des ques­tions d’argent, à un quin­qua­gé­naire, sou­cieuse de sa res­pec­ta­bi­li­té et qui consi­dé­rait ses deux plus jeunes enfants, dont l’écrivain, comme des « enfants du devoir ». Une famille aussi qui a en par­tie perdu sa richesse, que le père a tenté de recons­ti­tuer sans grand suc­cès. Enfin, Balzac a vécu des échecs finan­ciers, et, qui, cou­vert de dettes, a tra­vaillé sans relâche…

Parallèlement, sur le plan poli­tique, il a refu­sé à la fois le libé­ra­lisme et les excès de la monar­chie, consta­tant que l’argent, les ambi­tions, les inté­rêts mènent la socié­té et que l’individualisme détruit les plus nobles élans. Finalement, Renée sur­vit, Louise meurt, dévo­rée par la pas­sion. Mais le « Dévouement », sur lequel Renée fonde son exis­tence n’est guère exal­tant : elle a renon­cé aux rêves for­més au couvent, repor­tant toute son éner­gie sur la construc­tion de sa vie d’épouse et de mère, en se pliant aux codes sociaux.

Source : cotentinghislaine

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