Extrait analysé : « Hier au soir Louise a eu pendant quelques moments le délire ; mais ce fut un délire vraiment élégant, qui prouve que les gens d’esprit ne deviennent pas fous comme les bourgeois ou comme les sots. ( .…..)Oh ! je veux voir mes enfants ! mes enfants ! Amène mes enfants au-devant de moi ! »
Introduction :
Nous sommes en présence du dernier extrait de la correspondance entre Louise et Renée, les deux amies de couvent qui ont, par lettres interposées, dévoiler l’une à l’autre leur intimité et leur destin pendant des années. Louise, par une jalousie qui n’était pas légitime, s’est exposée volontairement à un refroidissement fatal. Elle l’explique dans une lettre précédente. Renée est à son chevet pour rendre ses derniers instants plus supportables. C’est la première fois depuis leur fâcherie, qu’elles sont ensemble.
Nous expliquerons que, dans ce passage, la mort de Louise apparaît comme une mort esthétique. Puis, dans un second axe, nous parlerons de l’émotion de l’épistolière.
I. UNE MORT ESTHETIQUE
Renée raconte l’agonie de Louise en faisant ressortir l’aspect pur et sacré de cet instant. Elle souhaite, par cette description, rendre une sorte d’hommage aux folies de son amie intime. Le premier élément qui frappe à la lecture de cet extrait, est la notion de délire qui peut être associée à la folie (un être « normal » qui meurt peut perdre conscience, et de ce fait sombrer dans la démence) : mais Renée rectifie cette image en montrant que Louise connaît un délire élégant (oxymore). En quoi l’est-il ? Il est d’abord associé au statut social de Louise, aristocrate et mondaine (l’opposition avec « bourgeois et sot »). Puis, elle décrit la fin de vie de Louise comme un élan vers une pureté qui lui est ouverte. Les signes physiques de la mort sont naturellement évoqués par Balzac dans cette scène : on remarque un champ lexical de l’agonie sous la forme d »une gradation ascendante (les termes « éteinte », « âme s’échappait », « faible », « agonie », « dépouille », « linceul »). Inexorablement la mort fait son travail. Mais la « belle mort » de Louise (voir qq lignes précédentes) est aussi évoquée comme une aspiration de sa propre nature romantique. Louise meurt pour avoir été passionnée. Cet aspect touchant est souligné par l’utilisation des mots « grâce » et « douceur »). On remarque aussi la délicatesse de Louise qui ne veut pas que son époux assiste à l’extrême onction (« à l’insu de Gaston »).
Les symptômes de cette mort sont symbolisés par des indices esthétiques :
➢ Le chant. Il renvoie à la perception « artistique » que Louise a de la vie. Une vie où l’ennui est banni, une vie où l’art, l’illusion, la passion doivent exister. Les références à l’art lyrique (théâtre/poésie/musique) permettent d’ancrer Louise dans son milieu (l’aristocratie, son « monde ») et aussi font référence à l’allusion à la chanteuse d’opéra La FODOR (lecture analytique N°3) que Louise citait à propos de son ex mari Felipe Macumer (ou Henarez)). Louise chante comme un cygne au moment de la mort. Cette métaphore implicite rend compte de la vraie nature du personnage : romantique, emportée par le désir, acceptant la mort. Le Cygne (l’animal) est un symbole, dans beaucoup de traditions nationales, de pureté, de noblesse, d’un désir comblé, d’une sexualité autant masculine que féminine (cygnus musicus)
➢ L’ange. Louise est un ange parce qu’elle conquiert les cœurs. Sa passion est digne, pense Renée (d’où la notion de « belle nature ». Attention à l’oxymore « belle nature » / « qu’elle s’était créée ») qui marque l’opposition entre l’élan du cœur et la marginalité.
➢ La couleur violette. Elle est nommée à la fin de l’extrait. C’est la Couleur de la mort (c’est une couleur irréaliste ici – le visage d’un véritable mort est davantage jaune cireux- mais c’est une couleur esthétique) : elle équivaut au rouge (de la passion, mais un rouge teinté de noir)
D’autre part, l’agenouillement de Marie Gaston évoque dans la dernière phrase de la scène l’hommage de l’être vivant à l’être qui passe du côté de la mort. Les mains serrées renforcent l’aspect pathétique de cette dernière phrase.
II. L’EMOTION DE L’EPISTOLIERE
Cette lettre est tout d’abord destinée au mari de Renée, Louis, qui se trouve loin du drame (d’ou l’apostrophe « mon ami »). On s’imagine le désespoir de Renée.
Cependant le lecteur remarque la différence profonde entre les deux parties de la lettre. La première partie montre que Renée, comme son caractère le veut, se concentre sur des actions et des observations. Elle se met peu en avant sauf dans la phrase : « je viens, à sept heures du matin, de la lever moi-même ». En revanche, l’énonciation signale que Balzac a voulu faire de cette mort un tableau qui émeut une collectivité : le frère de Louise est nommé par son prénom, nous remarquons plusieurs marques plurielles (nous) ; « nous étions tous silencieux », « elle ne nous voyait plus », « l’ange le plus charmant que nous pourrons voir ». En évoquant les larmes de Rhétoré, personnage du roman quasi inexistant, Balzac fait comprendre implicitement quelle doit être le chagrin intérieur de Renée. L’union des deux femmes se fait à la fin de cette partie dans une répétition des mêmes phrases du De Profundis (la récitation à deux voix alternées, comme un échange épistolaire ! mais Renée prononce les phrases et Louise n’en a plus la capacité, voir l’adverbe « mentalement »). La seconde partie du texte est évidemment plus émouvante car elle place Renée devant une évidence : la mort de Louise est constatée. Elle reprend une énonciation où les indices personnels sont frappants (3 « je » en 3 lignes, accompagnés du possessif « mes »). L’émotion de Renée prend la forme d’un cri déchirant qu’illustrent les points d’exclamation qui s’enchaînent et la répétition de la phrase nominale « mes enfants ». Renée se décharge de son angoisse contenue, de sa tristesse profonde, en appelant au secours. Ses enfants symbolisent le centre de sa vie, les valeurs maternelles de sa vie, comme l’indique l’allitération en « m » de la dernière phrase. On remarque qu’elle souhaite simplement « voir » ses enfants, non pas les toucher ou les serrer dans ses bras, simplement les voir, comme pour constater concrètement leur existence. Dans ce dernier cri, Renée donne une belle image de la famille puisque tous les membres de cette famille y sont présent (son mari dans l’impératif « Amène », sa progéniture au centre de la phrase « mes enfants », et le dernier mot du texte, la mère, avec « moi »).
Enfin, Balzac n’a pas voulu terminer son roman par un commentaire ou par une leçon. Cette lettre est un témoignage émotionnel puissant, les tournures sont simples « j’ai le cœur brisé », « je veux voir mes enfants ». Le roman épistolaire a pour fonction ici de faire passer au lecteur le bouleversement immédiat d’un être humain dans le présent. On imagine le lecteur ému et rêveur en terminant sa lecture.
Conclusion :
La fin de ce roman illustre le caractère essentiel d’une correspondance : cette lettre informe, donne à voir des circonstances, concentre les sentiments et les émotions, donne une image de soi et d’autrui. Ce que fait Renée, dans cette lettre est à l’image de la correspondance des deux amies. Mais le cri déchirant de Renée ne mène-t-elle pas ce personnage sur les traces de Louise, la rendant plus passionnée, plus spontanée ?
Source : A.N. I