Préalable définitionnel
Le propos de Louis est-il une tirade, un monologue ou un soliloque ?
La tirade serait une réplique étirée, c’est-à-dire une longue réponse approfondie d’un personnage à un autre personnage, dans une situation de dialogue, donc). Mais quel serait le seuil qui ferait passer d’une réplique à une tirade ou plus retors encore, d’une longue réplique à une courte tirade ? ici, Louis bien que seul sur scène s’en prend à sa famille, le vocatif à la seconde personne étant explicite et répété et il fonde même, à moment donné, la norme sonore à base de vélaire (“c’est vous abimer que je veux”), ce qui montre à quel point a famille influence sa volonté prétendument souveraine.
Mais à d’autre moments, Louis est seul et il parle longuement tout seul ; il ne parle à personne, si ce n’est lui-même (le spectateur/lecteur étant tout de même pris à témoin de sorte que le distinguo personnage seul sur scène / ne l’étant pas ne vaut que pour la première énonciation, du point de vue des personnages entre eux bien-sûr). Là se pose la question du monologue ou bien du soliloque, les deux termes, relevant l’un de l’étymologie latine l’autre de la grecque, recouvrant littéralement la même réalité (discours, solitaire). Les deux (le soliloque constituant un doublon à peine postérieur au monologue) semblent renvoyer de toute façon à un de ces rares actes dramatiques, note P. LARTHOMAS, qui assument de rompre avec le semblant de naturel que se donne l’action scénique.
Est-il en effet vraisemblable, hormis quelques situation données comme exceptionnelles (la maladie mentale, par exemple) qu’un personnage monopolise durablement la parole et s’exprime durablement sans rebond ni écho ?
LOUIS. – Au début, ce que l’on croit
– j’ai cru cela –
ce qu’on croit toujours, je l’imagine,
c’est rassurant, c’est pour avoir moins peur,
on se répète à soi-même cette solution comme aux enfants qu’on endort,
ce qu’on croit un instant,
on l’espère,
c’est que le reste du monde disparaîtra avec soi,
que le reste du monde pourrait disparaître avec soi,
s’éteindre, s’engloutir et ne plus me survivre.
Tous partir avec moi et m’accompagner et ne plus jamais revenir.
Que je les emporte et que je ne sois pas seul.
Ensuite, mais c’est plus tard l’ironie est revenue, elle me rassure et me conduit à nouveau ensuite, on songe, je songeai,
on songe à voir les autres, le reste du monde, après sa mort.
On les jugera.
On les imagine à la parade, on les regarde, ils sont à nous maintenant, on les observe et on ne
les aime pas beaucoup,
les aimer trop rendrai triste et amer et ça ne doit pas être la règle.
On les devine par avance,
on s’amuse, je m’amusai,
on les organise et on fait et refait l’ordre de leurs vies.
On se voit aussi allongé, les regardant des nuages, je ne sais pas, comme dans les livres
d’enfants,
c’est une idée que j’ai.
Que feront ils de moi quand je ne serai plus là ?
On voudrait commander, régir, profiter médiocrement de leur désarroi et les mener encore un
peu.
On voudrait les entendre, mais je ne les entends pas, leur faire dire des bêtises définitives et
savoir enfin ce qu’ils pensent.
On pleure.
On est bien.
Je suis bien.
Parfois, c’est comme un sursaut,
parfois, je m’agrippe encore, je deviens haineux,
haineux et enragé,
je fais les comptes, je me souviens.
Je mords, il m’arrive de mordre.
Ce que j’avais pardonné je le reprends,
un noyé qui tuerait ses sauveteurs, je leur plonge la tête
dans la rivière,
je vous détruis sans regret avec férocité.
Je dis du mal.
Je suis dans mon lit, c’est la nuit, et parce que j’ai peur,
je ne saurais m’endormir,
je vomis la haine.
Elle m’apaise et m’épuise
et cet épuisement me laissera disparaître enfin.
Demain, je suis calme à nouveau, lent et pâle.
Je vous tue les uns après les autres, vous ne le savez pas
et je suis l’unique survivant,
je mourrai le dernier.
Je suis un meurtrier et les meurtriers ne meurent pas,
il faudra m’abattre.
Je pense du mal.
Je n’aime personne,
je ne vous ai jamais aimés, c’était des mensonges,
je n’aime personne et je suis solitaire,
et solitaire, je ne risque rien,
je décide de tout,
la Mort aussi, elle est ma décision
et mourir vous abîme et c’est vous abîmer que je veux.
[…]