Il y a une trentaine d’années, la communauté scientifique alertait sur le réchauffement et le dérèglement climatique… Aujourd’hui, nous empruntons la trajectoire qu’elle prédisait. L’urgence écologique serait-elle incompatible avec la démocratie, lente dans son fonctionnement ?
Pourquoi l’urgence écologique ne s’exprime-t-elle pas dans les urnes ?
Les candidats écologistes ne sont guère populaires.
En 1974, René Dumont (1904−2001), agronome et premier candidat sous l’étiquette écologiste aux élections présidentielles, publiait un manifeste électoral engagé : « À vous de choisir : l’écologie ou la mort ». Il ne récolta que 1,32% des suffrages mais fut le candidat contestataire d’une société de la croissance incompatible avec le bien-être social et environnemental et fonda l’écologie politique.
Passer à une écologie politique
Je crois que c’est notre individualisme et notre croyance en la possibilité à déterminer nous-mêmes les sociétés politiques indépendamment de la nature qui fait que nous avons du mal à passer à une écologie politique, à considérer l’urgence écologique, parce que nous continuons de faire comme si les sociétés politiques n’étaient que des affaires artificielles qui consisteraient à poser les rapports de gouvernement entre les hommes or bien évidemment l’écologie suppose de faire rentrer la question de la nature et la question des rapports entre les hommes et la nature, ce qui détermine aussi les rapports entre les hommes eux-mêmes.
Fabienne Brugère
La communauté scientifique est-elle ignorée ?
On oublie d’écouter la communauté scientifique. Depuis une trentaine d’années, nous savions que si nous continuions à émettre des gaz à effet de serre, nous irions dans la deuxième partie de ce siècle vers des réchauffements importants, des élévations de la mer, des conséquences importantes et en fait nous sommes sur la trajectoire d’évolution du climat que nous envisagions. Les problèmes à long terme sont toujours masqués par les problématiques de court terme.
Jean Jouzel
Universalité mise à mal par Donald Trump
La communauté scientifique se mobilise en particulier à travers le GIEC, ce groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, créé en 1988. En 1990 il produit son premier rapport, suffisamment alarmiste et clair pour qu’en 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio des décisions soient prises, une convention climat, de bons sens, indique la prise de décisions pour limiter l’augmentation des gaz à effet de serre qui sont déjà, on le sait, à l’origine de ce réchauffement. Bien sûr, la première conférence climat c’est à Berlin en 1995 et il y a trois conférences emblématiques : celle de Kyoto en 1997 donc l’échec est lié au non engagement des Etats-Unis et aussi le fait que personne n’avait anticipé la montée très rapide des émissions de gaz à effet de serre en Chine par exemple. Copenhague, un échec complet. On peut qualifier la troisième conférence emblématique, celle de Paris en 2015, de succès, lié à la démocratie, à l’universalité de l’accord de Paris. À l’époque tous les pays ou presque l’avaient signée mais malheureusement cette universalité, Donald Trump l’a mise à mal et peut-être Bolsonaro dans quelques semaines…
Jean Jouzel
Reconnaissance de l’interdépendance des nations
Nous avons besoin de dirigeants capables de figurer l’urgence écologique, de mettre au point des mesures qui montrent combien l’écologie participe de notre bien-être. Il y aussi en jeu toute une conception du monde : chaque nation doit-elle affirmer sa souveraineté avec toute la possibilité d’un choc des souverainetés qui d’une certaine manière ne pourra justement que pâtir aux différentes populations puisque précisément il y a de moins en moins de coopération entre les nations. Ou au contraire ne vaudrait-il pas mieux reconnaître notre fondamentale interdépendance, à savoir que les nations sont interdépendantes, ce que l’on sait depuis le projet de paix perpétuelle de Kant lorsqu’il explique que le cosmopolitisme est le fait que nous appartenons tous à la même terre. D’une certaine manière nous sommes tous liés.
Fabienne Brugère