La Liberté

Temps de lec­ture : 3 minutes

1. Le désir de liber­té
* Chaque indi­vi­du pos­sède au moins un désir, sinon une expé­rience, com­plète ou insa­tis­fai­sante, de ce qu’il nomme liber­té. Le concept est cepen­dant dif­fi­cile à défi­nir, parce qu’il concerne des domaines appa­rem­ment dif­fé­rents (de la liber­té de pen­ser à celle d’a­gir), mais aussi parce que ses accep­tions his­to­riques sont variables.
* L’expérience simple d’un com­por­te­ment libre enseigne qu’il n’est sou­mis à aucun empê­che­ment : être libre, c’est faire ce que l’on vou­lait – au sens où l’on en avait l’in­ten­tion, et non où il s’a­gi­rait de vou­loir par exemple s’en­vo­ler par la fenêtre ? On retrouve là une signi­fi­ca­tion pre­mière du terme qui, dans l’Antiquité, désigne bien le sta­tut du citoyen ou du maître, par oppo­si­tion à l’es­clave.
* Cette ins­crip­tion ini­tiale de la liber­té dans la vie de la Cité fait de la liber­té, comme le sou­ligne Hegel, un pri­vi­lège : ce n’est pas encore l’homme en géné­ral qui est conçu comme libre. Pour recon­naître que tout homme est libre par nature ou essence, il fau­dra que le chris­tia­nisme confirme les affir­ma­tions des Stoïciens, en fai­sant de la liber­té un prin­cipe spi­ri­tuel ou moral. De cette liber­té inté­rieure à la liber­té concrète, dans le réel, le che­min par­cou­ru cor­res­pond pour Hegel au “long pro­ces­sus qui consti­tue l’his­toire elle-même”. Loin d’être ini­tia­le­ment don­née, la liber­té est le résul­tat d’une éla­bo­ra­tion qui ne peut se mani­fes­ter plei­ne­ment qu’à la “fin” de l’histoire.

2. De la liber­té inté­rieure à la liber­té en situa­tion
* En affir­mant que le sage doit être indif­fé­rent rela­ti­ve­ment à ce qui sur­vient, le stoï­cisme déli­mite l’es­pace inté­rieur d’une indé­pen­dance par rap­port au monde et aux pas­sions qu’il peut sus­ci­ter. C’est ouvrir la pos­si­bi­li­té de concep­tions et de débats que l’on retrouve dans toute la phi­lo­so­phie clas­sique. Ainsi, Descartes conçoit la liber­té comme pou­voir de choi­sir entre deux par­tis (c’est la “liber­té d’in­dif­fé­rence”) sans subir aucune contrainte exté­rieure, mais il consi­dère par ailleurs que la connais­sance du bien l’é­claire et l’aide à choi­sir. A l’in­verse, Leibniz nie la liber­té d’in­dif­fé­rence, et Spinoza consi­dère que la notion de liber­té n’est qu’une illu­sion, due à notre mécon­nais­sance de ce qui nous déter­mine.
* Lorsque Kant pos­tule l’exis­tence de la liber­té dans l’homme, c’est parce que le choix moral nous révèle que notre rai­son est bien non condi­tion­née. Il enri­chit d’une dimen­sion morale la concep­tion poli­tique de Rousseau, affir­mant que la liber­té est “l’o­béis­sance à la loi qu’on s’est pres­crite” (Contrat social, I, 8). Dans un cas comme dans l’autre, c’est la vie en com­mun qui rend néces­saire de pen­ser la rela­tion entre la liber­té et la loi.
* L’existentialisme sar­trien néglige d’a­bord la pré­sence du social : la liber­té de cha­cun est abso­lue. Mais elle s’ac­com­pagne d’une écra­sante res­pon­sa­bi­li­té, puisque chaque choix indi­vi­duel engage une concep­tion pos­sible de l’hu­ma­ni­té en géné­ral. La mul­ti­pli­ci­té des choix indi­vi­duels, tou­jours effec­tués en l’ab­sence de normes ou de trans­cen­dance, mène néces­sai­re­ment à des conflits tels que, lorsque Sartre éprouve le besoin d’o­rien­ter glo­ba­le­ment les conduites dans l’his­toire, il ne trouve d’autre solu­tion qu’un rap­pro­che­ment avec le marxisme.

3. Liberté et poli­tique
* La liber­té antique n’est rien de plus que la pos­si­bi­li­té d’être acteur dans la vie de la Cité : cette concep­tion nous appa­raît aujourd’­hui insuf­fi­sante. Être libre du point de vue poli­tique et social, cela signi­fie au moins béné­fi­cier d’un cer­tain nombre de droits fon­da­men­taux (liber­té d’ex­pres­sion et d’o­pi­nion, sécu­ri­té des biens indi­vi­duels) garan­tis par la loi.
* La liber­té ne peut de ce point de vue être assu­rée que si la loi cor­res­pond bien à l’ex­pres­sion de la “volon­té géné­rale” – et c’est sur ce point que l’on ren­contre de nou­velles dif­fi­cul­tés. La per­sis­tance, dans les socié­tés modernes, d’un cer­tain nombre d’i­né­ga­li­tés, éco­no­miques et sociales, oblige à se deman­der si, par exemple, le droit de vote – qui consti­tue bien un aspect posi­tif de la liber­té – va néces­sai­re­ment de pair avec d’autres dimen­sions pos­sibles de la liber­té.
* Déjà Marx reproche à Hegel de s’illu­sion­ner sur la réa­li­sa­tion de la liber­té qu’au­rait consti­tué la Révolution fran­çaise, qui ne signi­fie à ses yeux rien de plus que la libé­ra­tion d’une classe sociale (au détri­ment de la sui­vante). Dans cette optique, la liber­té serait plu­tôt à pen­ser sous l’as­pect d’une libé­ra­tion pro­gres­sive, dont l’a­chè­ve­ment serait, pour peu que l’on néglige les pré­vi­sions de Marx, inter­mi­nable. C’est dire que, rela­ti­ve­ment à la réa­li­té poli­tique, les liber­tés acquises sont tou­jours à défendre, tan­dis que d’autres sont à reven­di­quer. Toute la dif­fi­cul­té est alors d’ad­mettre qu’une fois que l’État garan­tit aux citoyens une absence effec­tive de contrainte, on ne peut guère lui deman­der davantage.

A.N.I

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