Le Drame bourgeois

Temps de lec­ture : 4 minutes

Dans la deuxième moi­tié du 18ème siècle naît le drame bour­geois. C’est de lui que le drame roman­tique sera pour par­tie tributaire.
Une esthé­tique où pré­do­mine le goût du spec­tacle que l’opéra baroque avait mis en avant et que rebu­tait l’esthétique clas­sique de la pureté.
Théâtre de théo­ri­ciens (Diderot, Beaumarchais), le drame bour­geois n’a pas pro­duit de chefs‑d’œuvre, pas plus que son ava­tar le mélo­drame (de mélo : musique, chant, drame popu­laire lar­moyant en par­tie chan­té) mais il inau­gure une ère nouvelle.
C’est avec l’avènement du drame roman­tique qu’apparaîtront les grandes réalisations.

La tra­gé­die clas­sique genre contesté

Elle ne repré­sente l’action qu’à tra­vers le dis­cours puisque la repré­sen­ta­tion de toute vio­lence est pros­crite. Non seule­ment elle ne plaît plus mais elle est condam­nable parce qu’immorale, en effet, les héros qu’elle met en scène ne sont pas res­pon­sables de leurs actes mais vic­times d’un fatum. Elle comme seule res­sort les passions.
Ces sujets sont pui­sés dans une anti­qui­té révo­lue de héros et de dieux qui ne concernent pas l’honnête homme du siècle.
Elle n’est plus sus­cep­tible de tou­cher le spec­ta­teur du 18ème siècle, avide d’émotion et de ce qui lui parle direc­te­ment de lui et de son temps.
Le drame bour­geois doit abo­lir la dis­tance ins­tau­rée par la tra­gé­die entre le spec­ta­teur et le per­son­nage : « Plus l’homme qui pâtit est d’un état qui se rap­proche du mien, et plus son mal­heur a de prise sur mon âme », (Essai sur le genre dra­ma­tique sérieux, Beaumarchais). Pour Diderot, “il faut repré­sen­ter les mal­heurs qui nous envi­ronnent”, c’est-à-dire faillites, ruines, crainte de l’i­gno­mi­nie, crainte du déshon­neur… On passe du tra­gique au pathé­tique afin d’ar­ra­cher des larmes aux spec­ta­teurs. Le drame bour­geois se veut prin­ci­pa­le­ment édi­fiant, il ne s’in­ter­di­ra donc pas de mélan­ger le tra­gique et le comique. Introduction de la notion de sérieux et bou­le­ver­se­ment défi­ni­tif des caté­go­ries du théâtre. La vie réelle ne se situe ni dans le comique, ni dans le tra­gique, mais dans une situa­tion inter­mé­diaire : le sérieux, qui seul est pro­pice à l’é­vo­lu­tion morale du spec­ta­teur. Pourtant, il n’y a pas d’ac­cord entre Beaumarchais et Diderot.
Pour Diderot : “Il serait dan­ge­reux d’emprunter dans une même com­po­si­tion des nuances du genre comique et du genre tra­gique.” Equilibre qui ne peut naître que de l’ab­sence d’ex­cès dans un genre ou dans l’autre.
Pour Beaumarchais, “inter­chan­gea­bi­li­té des genres” (pré­face du Mariage de Figaro), “voilà le fond dont on aurait pu faire avec un égal suc­cès une tra­gé­die, une comé­die, un drame, un opéra.”

La tra­gé­die vol­tai­rienne puis le drame bour­geois achè­ve­ront la tra­gé­die clas­sique, à laquelle, au 19ème siècle, un Casimir Delavigne ten­te­ra vai­ne­ment de don­ner une deuxième vie.

Mais la comé­die clas­sique est tout autant remise en cause. On lui reproche à elle aussi l’irréalisme de ses pro­cé­dés, gros­sis­se­ment et sty­li­sa­tion qui choquent désormais.
Le rire franc est incom­pa­tible avec ce que l’on réclame d’émotion aux nou­velles formes de spectacle.
La comé­die se trans­forme, elle prête moins à rire qu’à sou­rire, elle inflé­chit le comique vers le spirituel.

Le Drame

Le drame bour­geois répond au goût nou­veau d’un siècle qui délaisse la tra­gé­die et ne prise plus le gros rire. La « comé­die lar­moyante », créée par Nivelle de la Chaussée, dés 1735, lui a pré­pa­ré la voie, en expri­mant déjà ce qui sera son double but : émou­voir le spec­ta­teur et satis­faire ses exi­gences morales.
Dans la pré­face de le l’Enfant pro­digue, en 1738, Voltaire fait part de son désir de créer « un genre mixte » dans lequel on puisse voir « un mélange de sérieux et de plai­san­te­rie, de comique et de tou­chant. C’est ainsi que la vie des hommes est bigar­rée ; sou­vent même une seule aven­ture pro­duit tous ces contrastes. Rien n’est si com­mun qu’une mai­son dans laquelle un père gronde, une fille occu­pée de sa pas­sion pleure, le fils se moque des deux, et quelques parents prennent dif­fé­rem­ment part à la scène. On raille très sou­vent dans une chambre ce qui atten­drit dans la chambre voi­sine, et la même per­sonne a quel­que­fois ri et pleu­ré de la même chose dans le même quart d’heure. »
Avec le drame se réa­lise le rêve vol­tai­rien. Le théâtre veut désor­mais sai­sir la vie dans le foi­son­ne­ment de ses contra­dic­tions, plu­tôt que de pré­sen­ter la nature humaine fal­si­fiée par une sty­li­sa­tion, gran­deur tra­gique ou cari­ca­ture burlesque.

Le drame bour­geois tient à la fois de la comé­die et de la tra­gé­die, il ne mélange pas pour autant les genres, mais il leur emprunte de mul­tiples moda­li­tés de ton. Diderot fait remar­quer com­bien il serait inco­hé­rent de mêler, dans une même com­po­si­tion, des nuances du genre comique et du genre tra­gique. « Connaissez bien la pente de vos sujets et de vos carac­tères, conseille-t-il aux auteurs et suivez-la… »
Comme l’Encyclopédie qui pré­tend rendre compte de tous les domaines de l’activité humaine, le drame veut explo­rer les mul­tiples registres de l’affectivité.
Le mélo­drame offre, plus encore que son pré­dé­ces­seur le drame bour­geois, « ce spec­tacle de la vertu per­sé­cu­tée », puis triom­phante, dont rêvait Beaumarchais.
Très influen­cé par la mode du roman noir, appe­lé aussi « roman fré­né­tique », notam­ment par les œuvres de Radcliffe et de Lewis, le mélo­drame joue en per­ma­nence sur le pathé­tique. Pour accroître l’émotion, il uti­lise des décors propres à créer une atmo­sphère inquié­tante : châ­teaux forts, ruines, sombres forêts, que le théâtre roman­tique lui emprun­te­ra. Son sens pre­mier est « drame chan­té » : alter­nance de dia­logue et de musique. Ce sens pre­mier est oublié, le mélo­drame est sur­tout l’art de créer des moments d’émotion paroxystiques.
L’héroïne ver­tueuse et pure – son pro­tec­teur tout aussi ver­tueux – un jeune homme l’aimant d’amour pur – Un traître odieux aidé par une troupe d’auxiliaires.
Trois actes : Acte 1) : la nais­sance de l’amour entre les deux jeunes-gens. Acte 2) : l’intervention du traître, por­teur de mal­heur. Acte 3) : dénoue­ment, les méchants sont punis ou se repentent.

gF

Pour en savoir plus sur les auteurs et oeuvres cités

Partagez :
Pub…