Les romans d’analyse s’attachent d’ordinaire à peindre les hommes, leurs mœurs, leurs sentiments, selon une double perspective psychologique et sociologique. Ils renoncent aux grandes euphories romanesques, et s’attachent à une réalité plus humaine. Dans ce genre s’illustre Mme de Lafayette, avec son récit, La Princesse de Clèves (1678), dont la passion malheureuse est évoquée avec une sobriété émouvante. Le mouvement se prolonge au siècle suivant, notamment avec les romans de Marivaux, La Vie de Marianne (1731−1742) et Le Paysan parvenu (1734), et dans une large mesure, avec le roman libertin. Mais c’est au XIXe siècle surtout que le genre trouve à se déployer. Sous l’influence romantique, il conserve quelques traits du roman romanesque et de l’écriture autobiographique, mais la dimension réflexive est privilégiée. Les chefs‑d’œuvre sont nombreux : René (1802) de Chateaubriand, Oberman (1804) de Senancour, Adolphe (1806) de Benjamin Constant, Corinne (1807) de Mme de Staël, Indiana (1832) de George Sand, Volupté (1834) de Sainte-Beuve, La Confession d’un enfant du siècle (1836) de Musset, et plus tard, Dominique (1862) d’Eugène Fromentin. Avec l’influence réaliste, les tendances romanesques sont d’autant plus maîtrisées. C’est tout l’art bien sûr de Stendhal, Balzac, et plus encore, Flaubert et Maupassant. Madame Bovary, notamment, le chef‑d’œuvre de Flaubert, met en scène la désillusion d’une jeune femme romanesque dans un monde prosaïque. Avec le naturalisme de Zola, l’analyse, par souci de rigueur, s’inspire même de théories scientifiques, et le roman devient pour ainsi dire un laboratoire expérimental. À la limite, le roman s’écrit contre le romanesque. La tradition du roman d’analyse se poursuit allégrement au XXe siècle avec Maurice Barrès, Paul Bourget, Anatole France, Marcel Proust, André Gide, Raymond Radiguet, Jacques de Lacretelle, François Mauriac, Georges Bernanos, Marcel Jouhandeau, Julien Green, Colette, etc., et notamment avec la vogue du roman-fleuve, comme le Jean-Christophe de Romain Rolland, Les Hommes de bonne volonté de Jules Romains, Les Thibault de Roger Martin du Gard ou le cycle des Pasquier de Georges Duhamel. Le roman d’analyse est sans doute l’une des veines les plus fécondes du genre romanesque. Le roman d’analyse s’attache à décrire les variations et les contradictions de la passion, et à les lier à des notations morales, à des aperçus sur les constantes et les mécanismes de la psychologie humaine. Bernard de Ventadour, Chrétien de Troyes offriraient les premiers exemples de cette alliance de l’analyse et du récit. Le XVIIe siècle, avec l’Astrée, les œuvres de Mlle de Scudéry, de La Calprenède, de Gomberville, de Mme de La Fayette, s’attache à de subtiles distinctions sur l’amour, l’ambition, la gloire, la politesse. La réalisation romanesque de l’analyse suppose le raffinement de la langue et des mœurs, le développement de la réflexion morale et l’aptitude à intégrer ces données au récit. La perfection du roman d’analyse, habituellement reconnue à La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, est de faire que l’analyse prenne à son compte le jeu de la durée, indissociable du genre romanesque. Le roman d’analyse est ainsi un roman de l’immobilité, pris dans les allers et retours des constats, des aveux, des échecs de l’amour, considéré en lui-même ou rapporté à la règle morale. Les limites du roman d’analyse sont celles de ces constats : le personnage n’est que le support du drame que révèle l’analyse. L’effacement du roman d’analyse correspond à la constitution d’une individualité romanesque qui apparente passion et affect et qui échappe à la clôture mondaine du roman d’analyse. La forme du roman par lettres montrerait, dans les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, l’impasse de l’analyse qui ne peut rendre compte de ce que porte obscurément la notation des ambiguïtés de la passion : le sentiment. La forme épistolaire reprend, à travers le scepticisme libertin, la rigueur de l’analyse, en même temps qu’elle assure la suggestion de l’affect. La critique reconnaît cependant une tradition du roman d’analyse, lisible dans Adolphe de Benjamin Constant, dans Armance de Stendhal, dans la Porte étroite de Gide, dans le Bal du comte d’Orgel de Radiguet. Chez Constant et Stendhal, l’analyse correspond à un mélange de sentiment et d’abstraction et à la notation de la solitude et de l’échec du héros masculin, inséparable de l’impossibilité, symbolique ou réelle, de l’amour. Gide et Radiguet poursuivent cet examen de l’obstacle à une vie sentimentale et mondaine, qui commande précisément l’analyse psychologique.
Le Roman d’analyse
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