Le roman de chevalerie est né de la rencontre de la chanson de geste au Nord, et de la Fin’amor des cours de langue d’Oc, au sein d’une aristocratie à la fois riche et stable – notamment dans les domaines des Plantagenêts, continentaux et insulaires, et de plus en plus cultivée
L’exemple type en est Chrétien de Troyes, qui vécut à la cour de Marie de Champagne, fille d’Aliénor d’Aquitaine.
L’idéologie chevaleresque
Une idéologie d’inspiration religieuse
À l’origine des romans de chevalerie, on trouve une idéologie d’inspiration religieuse, dont le couronnement est le De laude nouae militiae de Saint-Bernard, plus ou moins liée à l’esprit des Croisades. Elle récupère peu à peu l’idéologie royale qui s’exprime dans le serment du Sacre :
- Porter secours à tous les faibles et les déshérités, protéger la veuve et l’orphelin ;
- Protéger la Sainte Église ;
- Renoncer au mal ;
- Fuir le péché d’orgueil ;
- Songer au salut de son âme.
On retrouvera ces principes notamment dans les romans arthuriens en prose (Queste del Saint Graal ; leçons de la “Dame du Lac” à Lancelot dans les Lancelot en prose.
L’idéologie de la “cortoisie”
Elle tient en deux mots : “chevalerie” et “clergie”, autrement dit, force physique et morale, et culture, et s’opposent à la “vilénie”, mode de vie du “vilain” qui se définit par l’âpreté au gain, l’avarice, la rusticité, la saleté, la grossièreté.
L’on rejette la force brutale des “mauvais chevaliers”, pillards, violeurs, incendiaires (les brigands, mais aussi Galoain ou Limors dans Érec et Énide.
La “cortoisie” suppose aussi un bon usage de la richesse : largesse et générosité.
Introduit à la Cour de France par Aliénor d’Aquitaine, cet idéal se transmettra, au XIIIème siècle à la frange la plus instruite de la bourgeoisie.
L’Amour courtois
Enfin, l’Amour courtois (à ne pas confondre avec la courtoisie), dérive de la fin’amor célébré par les Troubadours depuis la fin du XIème siècle. Amour adultère et secret, fondé sur le culte du désir autant que sur celui de la Dame. La Fin’amor repose sur le fait de toujours différer la satisfaction du désir, qui est aussi sa mort, et sur la nécessité pour l’Amant de se soumettre à des épreuves imposées par la Dame. Celle-ci est inaccessible :
- Elle est d’un niveau social supérieur : ainsi, Guenièvre est reine ;
- En cherchant à la fléchir par ses vertus chevaleresques, en courant les tournois et les aventures, le chevalier s’améliore et peut la conquérir ;
- La Dame alors doit céder à son amant, comme le fit Guenièvre.
- Si elle refuse, elle est “hautaine”, et perd alors toute valeur.
- Mais si elle cède trop vite, elle est “facile” et perd également toute valeur.
L’expression didactique la plus achevée de l’Amour courtois est le Roman de la Rose, de Guillaume de Lorris.
La naissance du roman
C’est d’abord un texte en langue romane ; puis il se définit comme une fiction narrative de registre romanesque.
Le roman antique
Il naît du grand mouvement de traduction d’œuvres latines qui caractérise la France de l’Ouest au milieu du XIIème siècle, sous l’impulsion des Plantagenêts.
- Le Roman de Thèbes (1150) est l’adaptation de la Thébaïde de Stace ;
- Le Roman d’Énéas (1160) se présente à la fois comme une adaptation de l’Énéide, et aussi de l’ Iliade (et des pseudos Darès de Phrygien et Dictys le Crétois, du VIème siècle ap. J‑C.)
- Enfin, le Roman d’Alexandre, inspiré par le conquérant macédonien, date de la fin du XIIème siècle.
Tous ces romans sont écrits en couplets d’octosyllabes, comme l’historiographie ; mais le roman se distingue de la chronique par sa composition. Il ne suit pas seulement le fil des événements, mais correspond à une composition, une conjointure.
De même, sous l’influence d’Ovide, très apprécié à l’époque, apparaissent des personnages féminins, et le thème de l’amour.
Enfin, ces romans sont anachroniques : c’est la France médiévale qui est décrite ; au nom de la “translatio imperii et studii” il s’agit de montrer que la France du XIIème siècle est l’héritière des grandes civilisations antiques.
Le roman arthurien
Certes il est fondé sur des légendes celtiques, mais c’est bien Chrétien de Troyes qui le fait naître véritablement.
- Couplets d’octosyllabes, mais brisés par la syntaxe, afin d’éviter la monotonie ;
- Théorie embryonnaire du roman : la matière (un conte) s’oppose au sen (portée morale ou idéologique) ; le tout relié par une conjointure (composition) ;
- Apparition, dans Perceval, de l’entrelacement : au lieu de suivre de manière linéaire les aventures d’un héros, l’auteur alterne les aventures de deux protagonistes.
Le roman s’interroge sur l’amour, notamment au sein du couple marié.
Le principe structurel de tout roman arthurien est l’aventure chevaleresque. Le chevalier est un errant qui parcourt le monde pour éprouver sa valeur, conquérir une gloire qui lui donnera sa place au sein de la cour d’Arthur et, surtout dans Yvain, secourir les pauvres et les déshérités.
L’aventure prend souvent la forme d’une quête, d’un objet (le Graal), d’un animal (un petit chien), d’un chevalier… sur sa route, le héros rencontre la merveille qu’il doit maîtriser ou abolir, et dont il doit comprendre le sens. Il franchit aussi souvent les frontières de “l’autre monde” (êtres “faés”, morts…)
La postérité de Chrétien de Troyes
Des dizaines de romans arthuriens en vers vont être publiés jusqu’à la fin du XIIIème siècle, et même au XIVème siècle :
- Quatre continuations du Graal
- Des romans centrés sur Gauvain ou son fils
On trouvera aussi des romans en prose, dus notamment à des “dérimeurs” (XIIIèmesiècle).
Les romans de Tristan
- Tristan, de Béroul (1160−1190), peint une passion dévorante qui mène à l’exclusion et à la mort : il est à l’opposé de l’amour courtois ;
- Tristan, de Thomas d’Angleterre (1172), revient vers une version plus conforme à la courtoisie.
- La Folie Tristan date de la fin du XIIème siècle. Cet ouvrage fait la transition avec le Tristan en prose du XIIIèmesiècle.
L’Évolution ultérieure
La chanson de geste tend à devenir romanesque au XIVème siècle.
Le XVème siècle est le siècle des “dérimeurs” : on met en prose les œuvres en vers des siècles précédents, alors que le roman en vers disparaît presque complètement.
On voit naître des “biographies chevaleresques”, en vers ou en prose, à mi-chemin de la chronique et du roman, célébrant les exploits de chevaliers contemporains.
==> Froissart écrit ses Chroniques (1370−1400), et Philippe de Commynes est le premier historien moderne (1489−1498 : Mémoires)
Quant aux romans de chevalerie proprement dits, ils connaîtront une belle postérité, notamment en Espagne.
Michèle Tillard