Le Roman de chevalerie français

Temps de lec­ture : 4 minutes

Le roman de che­va­le­rie est né de la ren­contre de la chan­son de geste au Nord, et de la Fin’amor des cours de langue d’Oc, au sein d’une aris­to­cra­tie à la fois riche et stable – notam­ment dans les domaines des Plantagenêts, conti­nen­taux et insu­laires, et de plus en plus cultivée

L’exemple type en est Chrétien de Troyes, qui vécut à la cour de Marie de Champagne, fille d’Aliénor d’Aquitaine.

L’idéologie chevaleresque

Une idéologie d’inspiration religieuse

À l’o­ri­gine des romans de che­va­le­rie, on trouve une idéo­lo­gie d’ins­pi­ra­tion reli­gieuse, dont le cou­ron­ne­ment est le De laude nouae mili­tiae de Saint-Bernard, plus ou moins liée à l’es­prit des Croisades. Elle récu­père peu à peu l’i­déo­lo­gie royale qui s’ex­prime dans le ser­ment du Sacre :

  • Porter secours à tous les faibles et les déshé­ri­tés, pro­té­ger la veuve et l’orphelin ;
  • Protéger la Sainte Église ;
  • Renoncer au mal ;
  • Fuir le péché d’orgueil ;
  • Songer au salut de son âme.

On retrou­ve­ra ces prin­cipes notam­ment dans les romans arthu­riens en prose (Queste del Saint Graal ; leçons de la “Dame du Lac” à Lancelot dans les Lancelot en prose.

L’idéologie de la “cortoisie

Elle tient en deux mots : “che­va­le­rie” et “cler­gie”, autre­ment dit, force phy­sique et morale, et culture, et s’op­posent à la “vilé­nie”, mode de vie du “vilain” qui se défi­nit par l’â­pre­té au gain, l’a­va­rice, la rus­ti­ci­té, la sale­té, la grossièreté.

L’on rejette la force bru­tale des “mau­vais che­va­liers”, pillards, vio­leurs, incen­diaires (les bri­gands, mais aussi Galoain ou Limors dans Érec et Énide.

La “cor­toi­sie” sup­pose aussi un bon usage de la richesse : lar­gesse et générosité.

Introduit à la Cour de France par Aliénor d’Aquitaine, cet idéal se trans­met­tra, au XIIIème siècle à la frange la plus ins­truite de la bourgeoisie.

L’Amour courtois

Enfin, l’Amour cour­tois (à ne pas confondre avec la cour­toi­sie), dérive de la fin’a­mor célé­bré par les Troubadours depuis la fin du XIème siècle. Amour adul­tère et secret, fondé sur le culte du désir autant que sur celui de la Dame. La Fin’amor repose sur le fait de tou­jours dif­fé­rer la satis­fac­tion du désir, qui est aussi sa mort, et sur la néces­si­té pour l’Amant de se sou­mettre à des épreuves impo­sées par la Dame. Celle-ci est inaccessible :

  • Elle est d’un niveau social supé­rieur : ainsi, Guenièvre est reine ;
  • En cher­chant à la flé­chir par ses ver­tus che­va­le­resques, en cou­rant les tour­nois et les aven­tures, le che­va­lier s’a­mé­liore et peut la conquérir ;
  • La Dame alors doit céder à son amant, comme le fit Guenièvre. 
    • Si elle refuse, elle est “hau­taine”, et perd alors toute valeur.
    • Mais si elle cède trop vite, elle est “facile” et perd éga­le­ment toute valeur.

L’expression didac­tique la plus ache­vée de l’Amour cour­tois est le Roman de la Rose, de Guillaume de Lorris.

La naissance du roman

C’est d’a­bord un texte en langue romane ; puis il se défi­nit comme une fic­tion nar­ra­tive de registre romanesque.

Le roman antique

Il naît du grand mou­ve­ment de tra­duc­tion d’œuvres latines qui carac­té­rise la France de l’Ouest au milieu du XIIème siècle, sous l’im­pul­sion des Plantagenêts.

  • Le Roman de Thèbes (1150) est l’a­dap­ta­tion de la Thébaïde de Stace ;
  • Le Roman d’Énéas (1160) se pré­sente à la fois comme une adap­ta­tion de l’Énéide, et aussi de l’ Iliade (et des pseu­dos Darès de Phrygien et Dictys le Crétois, du VIème siècle ap. J‑C.)
  • Enfin, le Roman d’Alexandre, ins­pi­ré par le conqué­rant macé­do­nien, date de la fin du XIIème siècle.

Tous ces romans sont écrits en cou­plets d’oc­to­syl­labes, comme l’his­to­rio­gra­phie ; mais le roman se dis­tingue de la chro­nique par sa com­po­si­tion. Il ne suit pas seule­ment le fil des évé­ne­ments, mais cor­res­pond à une com­po­si­tion, une conjointure.

De même, sous l’in­fluence d’Ovide, très appré­cié à l’é­poque, appa­raissent des per­son­nages fémi­nins, et le thème de l’amour.

Enfin, ces romans sont ana­chro­niques : c’est la France médié­vale qui est décrite ; au nom de la “trans­la­tio impe­rii et stu­dii” il s’a­git de mon­trer que la France du XIIème siècle est l’hé­ri­tière des grandes civi­li­sa­tions antiques.

Le roman arthurien

Certes il est fondé sur des légendes cel­tiques, mais c’est bien Chrétien de Troyes qui le fait naître véritablement.

  • Couplets d’oc­to­syl­labes, mais bri­sés par la syn­taxe, afin d’é­vi­ter la monotonie ;
  • Théorie embryon­naire du roman : la matière (un conte) s’op­pose au sen (por­tée morale ou idéo­lo­gique) ; le tout relié par une conjoin­ture (com­po­si­tion) ;
  • Apparition, dans Perceval, de l’en­tre­la­ce­ment : au lieu de suivre de manière linéaire les aven­tures d’un héros, l’au­teur alterne les aven­tures de deux protagonistes.

Le roman s’in­ter­roge sur l’a­mour, notam­ment au sein du couple marié.

Le prin­cipe struc­tu­rel de tout roman arthu­rien est l’a­ven­ture che­va­le­resque. Le che­va­lier est un errant qui par­court le monde pour éprou­ver sa valeur, conqué­rir une gloire qui lui don­ne­ra sa place au sein de la cour d’Arthur et, sur­tout dans Yvain, secou­rir les pauvres et les déshérités.

L’aventure prend sou­vent la forme d’une quête, d’un objet (le Graal), d’un ani­mal (un petit chien), d’un che­va­lier… sur sa route, le héros ren­contre la mer­veille qu’il doit maî­tri­ser ou abo­lir, et dont il doit com­prendre le sens. Il fran­chit aussi sou­vent les fron­tières de “l’autre monde” (êtres “faés”, morts…)

La postérité de Chrétien de Troyes

Des dizaines de romans arthu­riens en vers vont être publiés jus­qu’à la fin du XIIIème siècle, et même au XIVème siècle :

  • Quatre conti­nua­tions du Graal
  • Des romans cen­trés sur Gauvain ou son fils

On trou­ve­ra aussi des romans en prose, dus notam­ment à des “déri­meurs” (XIIIèmesiècle).

Les romans de Tristan

  • Tristan, de Béroul (1160−1190), peint une pas­sion dévo­rante qui mène à l’ex­clu­sion et à la mort : il est à l’op­po­sé de l’a­mour courtois ;
  • Tristan, de Thomas d’Angleterre (1172), revient vers une ver­sion plus conforme à la courtoisie.
  • La Folie Tristan date de la fin du XIIème siècle. Cet ouvrage fait la tran­si­tion avec le Tristan en prose du XIIIèmesiècle.

L’Évolution ultérieure

La chan­son de geste tend à deve­nir roma­nesque au XIVème siècle.

Le XVème siècle est le siècle des “déri­meurs” : on met en prose les œuvres en vers des siècles pré­cé­dents, alors que le roman en vers dis­pa­raît presque complètement.

On voit naître des “bio­gra­phies che­va­le­resques”, en vers ou en prose, à mi-chemin de la chro­nique et du roman, célé­brant les exploits de che­va­liers contemporains.

==> Froissart écrit ses Chroniques (1370−1400), et Philippe de Commynes est le pre­mier his­to­rien moderne (1489−1498 : Mémoires)

Quant aux romans de che­va­le­rie pro­pre­ment dits, ils connaî­tront une belle pos­té­ri­té, notam­ment en Espagne.

Michèle Tillard

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