Le Symbolisme (XIXème)

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Depuis la chute du Second Empire, sur­ve­nue le 4 sep­tembre 1870, le gou­ver­ne­ment fran­çais est démo­cra­tique. La IIIe République ins­taure des liber­tés fon­da­men­tales et favo­risent l’émergence de nou­veaux cou­rants de pen­sée. Cette époque est éga­le­ment mar­quée par les pro­grès scien­ti­fiques et tech­niques qui pré­parent l’avènement d’un mode de vie moderne et du règne de la machine. Le posi­ti­visme, qui prône une approche scien­ti­fique, se déve­loppe. Le sym­bo­lisme naît en réac­tion au posi­ti­visme. Les sym­bo­listes s’opposent à une vision méca­niste de l’homme et de l’Univers. Ils rejettent le Naturalisme et sa des­crip­tion objec­tive de l’Univers. À l’expérience et à la rai­son, ils pré­fèrent la sug­ges­tion, l’irrationnel, la déri­sion. Ils ne sont pas non plus convain­cus par les recherches for­melles des Parnassiens.

Au début des années 1880, le Naturalisme occupe le devant de la scène lit­té­raire. Depuis quelque trente ans, le roman réa­liste et natu­ra­liste est à son apo­gée. L’Éducation sen­ti­men­tale de Flaubert sus­cite l’en­thou­siasme des tenants du Réalisme. Émile Zola, consi­dé­ré comme le maître du roman contem­po­rain, vient de publier deux ouvrages qui consacrent le Naturalisme : Le roman expé­ri­men­tal, (1880) et Les roman­ciers natu­ra­listes (1881). Bien que ces théo­ries ne fassent pas l’u­na­ni­mi­té au sein du milieu lit­té­raire, elles ont néan­moins été appli­quées par de nom­breux écri­vains dans des œuvres qui connurent un grand succès.

Toutefois, l’é­cole se dis­sout à par­tir du milieu des années 1880 et, sur­tout, à par­tir de la publi­ca­tion de La terre de Zola, en feuille­ton (1887). Les attaques contre le Naturalisme se font alors de plus en plus nom­breuses, notam­ment avec la concur­rence des « psy­cho­logues » Paul Bourget, Maurice Barrés ou Anatole France, qui aspirent à des recherches plus appro­fon­dies de la nature humaine. C’est à par­tir de ce moment qu’on peut véri­ta­ble­ment par­ler d’une crise du Naturalisme. En effet, bon nombre d’é­cri­vains, après avoir côtoyé le Naturalisme, se détournent de celui-ci, tel Huysmans qui, déjà en 1884, marque ses dis­tances avec À rebours (1884), récit d’un jeune esthète qui, refu­sant la réa­li­té de son siècle, fuit dans l’artifice.

Parmi toutes les condam­na­tions, celle qui paraît le mieux jus­ti­fier la réac­tion sym­bo­liste concerne la vision de l’é­cri­vain natu­ra­liste face au monde, jugée res­treinte. Les jeunes écri­vains se mettent alors en quête de mondes idéaux : l’exo­tisme d’un Pierre Loti, la psy­cho­lo­gie de Maurice Barrès ou de Paul Bourget, les contes pré­his­to­riques de J.-H. Rosny, mais aussi les théo­ries esthé­tiques de Mallarmé ou de Remy de Gourmont témoignent tous de cet appel d’un au-delà. Cette pré­oc­cu­pa­tion cen­trale autour de laquelle se joue­ront tous les enjeux semble être le désir d’un regard nou­veau porté sur le monde et l’homme.

Refusant le réa­lisme roma­nesque, la nou­velle géné­ra­tion pra­tique la poé­sie, le conte ou la nou­velle, voire le roman fan­tas­tique ou pré­his­to­rique. Marcel Schwob publie Le roi au masque d’or (1892), un recueil de contes fan­tas­tiques et cruels, et Rosny Aîné, Xipéhuz ( 1887), consi­dé­ré comme la pre­mière œuvre de science-fiction fran­çaise. De tels récits per­mettent en effet de mettre en scène un uni­vers tout à fait à l’op­po­sé de celui du roman natu­ra­liste en auto­ri­sant l’i­ma­gi­naire, l’é­vo­ca­tion de réa­li­tés loin­taines et de mondes inquiétants.

Bien que la véri­té soit au centre des théo­ries natu­ra­listes, les sym­bo­listes dési­rent aller plus loin sur cette voie. Ils demandent une ana­lyse totale récon­ci­liant psy­cho­lo­gisme et réa­lisme, une ana­lyse qui va au-delà des appa­rences du monde sen­sible. Au milieu des années 1880, on reproche au natu­ra­lisme de faire fi de l’i­ma­gi­na­tion, de se bor­ner à n’être qu’une simple des­crip­tion de la vie. Les sym­bo­listes pro­testent contre le maté­ria­lisme de l’é­poque et s’op­posent à l’an­nexion de la lit­té­ra­ture à la science. L’écrivain ne peut pré­tendre à l’exac­ti­tude car sa per­cep­tion du monde et de l’autre est for­cé­ment sub­jec­tive. Avec le sym­bo­lisme, le poète prend conscience des limites de son art, de la rela­ti­vi­té de ses repré­sen­ta­tions, mais il com­prend aussi toutes les pos­si­bi­li­tés d’un art des­ti­né à une quête nouvelle.

Le choix du lan­gage sym­bo­lique affirme le mys­tère du monde, ce qu’au­cune repré­sen­ta­tion maté­rielle ne peut expri­mer. Ce lan­gage est l’ex­pres­sion d’une sug­ges­tion, la sug­ges­tion d’une rela­tion entre le monde sen­sible et son au-delà mais aussi d’une rela­tion toute per­son­nelle avec le monde.

Face à l’é­vi­dente com­plexi­té de la nature, tout espoir d’une connais­sance glo­bale de l’u­ni­vers s’é­teint. Aussi cette période se carac­té­rise par un scep­ti­cisme scien­ti­fique et la quête d’un mys­ti­cisme moral ou reli­gieux qui rejoint le domaine de la littérature.

Refusant tout dogme, on se méfie de plus en plus des idées arrê­tées et de la rai­son, de l’« intel­lec­tua­lisme » qu’on cherche à rem­pla­cer par un autre moyen d’ap­pré­hen­der le réel. C’est en ce sens qu’il faut com­prendre les théo­ries sym­bo­listes : elles tra­duisent l’in­quié­tude de l’Homme qui res­sent l’ap­pel d’une quête méta-physique (au-delà de la phy­sique) de la véri­té. Avec la science, les décou­vertes de la rela­ti­vi­té de la connais­sance, de l’in­cons­cient, la lit­té­ra­ture avoue son impuis­sance à domi­ner la nature.

A.N.I

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