Tout d’abord, il ne faut point se lasser de répéter que le Moyen-âge ne fut point une époque triste, comme d’aucuns s’obstinent à le prétendre ; et le peuple parisien ne cesse point de se moquer de tout. Il immortalise la Farce même aux murs des cathédrales. Son ironie n’épargne ni le Christ, ni les Saints, ni la Vierge, pourtant si fêtée.
Les premiers mettent en scène, au milieu d’un carrefour, sur un échafaud, artisans avec leurs instruments, médecins avec leurs fioles, gens d’Église avec leurs chapes, gens de justice avec leurs écritoires, gens de guerre avec leurs épées. C’est un déroulement de comiques de situations, un récit de vives railleries. Le renard, animal rusé, sournois et preste, est le plus souvent le principal acteur.
On le voit successivement apprenti, garçon, maître, chef de jurande, apothicaire, chirurgien, avocat, juge, moine, pape, mais ne cessant jamais d’être renard, toujours gambadant, toujours sautant, en quête de méfaits et de drôleries. Toute la ville vient l’applaudir. Jusqu’au soir il se démène ainsi, déchaînant I‘ivrognerie et la luxure.
Les mystères pieux étaient , eux, consacrés à la vie du Christ, aux légendes bibliques, à la glorification de Dieu le Père. Commencés avec quelque gravité. Ils engendraient bientôt également mille bouffonneries.
La scène
Elle était toujours installée au-dessus d’un échafaud très élevé adossé généralement contre la façade d’une maison. De grandes toiles peintes figuraient une maison, un bois ou un palais. On les faisait descendre d’une charpente disposée en forme de cintre et souvent des outils, des meubles ajoutaient au réalisme de la scène.
Pour les mystères pieux. la décoration suivait une règle précise.
Il y avait trois échafauds superposés représentant l’enfer, le purgatoire et le ciel. Dans le bas se trouvait l’enfer, figuré par une énorme gueule de diable, rouge, velue, et entourée de diablotins crachant du feu. Au milieu. C’était le purgatoire. Le décor était moins terrible il s’harmonisait avec le vénérable Adam et l’accorte Ève. Dans le haut enfin, le décor représentait le ciel. On y voyait, peints sur la toile, des nuages, des anges, et, assis au beau milieu, Dieu le Père, qu’ entouraient des Saints à la longue barbe.
Ces trois décors restaient immobiles. Ils étaient fixés sur des charpentes au travers desquelles grimpaient des escaliers pour permettre L’ascension de l’âme qui partie de l’état de péché, arrivait à la félicité céleste. Devant chacun des trois décors une vraie scène aussi s’étendait ; car les acteurs étaient nombreux et souvent on faisait figurer des animaux, comme la vache de Bethléem ou bien encore l’ânesse de Balaam.
Les charpentiers dressaient et rendaient, aisément praticables ces trois échafauds.
Les représentations
Au début, la représentation des mystères pieux avait été le privilège exclusif des Confrères de la Passion, tandis que les moralités (compositions scéniques, où figuraient des idées abstraites personnifiées) étaient, jouées par les clercs de la basoche ; mais bientôt, les moralités ayant fait place A la farce et à la sotie, moralités et mystères furent représentés par les premiers venus.
Ce fut certes beaucoup plus gai ; car ces acteurs improvisés ne prenaient nul soin de se grimer. Alors toute l’assistance reconnaissait l’épicier, le sellier. le barbier, qui de bonne volonté, tenaient les rôles, s’esclaffait et interpellait de réparties, vives et drues, le malheureux Barrabas ou le Christ lui- même.
La grosse gaieté du peuple se donnait libre cours. Sans souci du drame représenté même
quand Marie-Madeleine pleurait aux pieds du Christ, on criait à l’un des acteurs d’aller retrouver sa femme qui était en train de le tromper ou bien à un autre de se sauver vite parce que ses chausses brûlaient. Souvent aussi l’ânesse de Balaam refusait de traverser la scène ou encore la vache, sans souci du lieu, s’oubliait. Alors c’était un vaste éclat de rire.
Entraînés, les acteurs bientôt faisaient de même. Ils lançaient à leur tour des apostrophes aux spectateurs, et mêlée des quolibets devenait générale. Il y avait certes des esprits délicats et lettrés qui voulaient réagir, mais ils ne pouvaient rien contre le goût de bouffonnerie de la foule.
Notes :
Farce : Pièce de Théâtre bouffonnne, d’un comique un peu grossier, qui préfigure la comédie de moeurs. La farce de maître Pathelin
Sotie : (ou sottie) Farce satirique où les acteurs portaient des costumes de sots
Moralité ; : Petite allégorie en vers jouée dans un but édifiant.
Mystère : Au Moyen-Age, drame religieux traitant des miracles de la Passion du Christ, de la vie des saints, qui se jouait généralement sur le parvis des Eglises
A.N.I