Le théâtre surréaliste (XXème)

Temps de lec­ture : 2 minutes

La guerre (1914−1918) ayant pro­vo­qué l’ef­fon­dre­ment des valeurs huma­nistes et bour­geoises sur les­quelles repo­sait la socié­té euro­péenne, le nou­veau siècle va éga­le­ment pro­fi­ter d’un cou­rant artis­tique d’une ampleur et d’une por­tée sans égal. Le Surréa­lisme, né du Dadaïsme, va en effet don­ner nais­sance à une pen­sée et à une esthé­tique révo­lu­tion­naires, influen­cer pro­fon­dé­ment et dura­ble­ment la créa­tion artis­tique dans tous les champs, y com­pris celui du théâtre.

Si le terme sur­réa­lisme, emprun­té à Apollinaire, désigne bien une nou­velle façon de conce­voir et de repré­sen­ter la réa­li­té, on pou­vait pen­ser que le théâtre devien­drait un lieu pri­vi­lé­gié d’ex­pres­sion de ce nou­veau cou­rant artis­tique. Or il n’en est rien. Les pré­cur­seurs n’ont pour­tant pas man­qué qui, de Pierre Albert-Birot et Alfred Jarry à Raymond Roussel, ont déjà entre­pris de décons­truire l’es­thé­tique dra­ma­tique et ses conven­tions. Mais le groupe sur­réa­liste conduit par André Breton voit dans le théâtre un genre trop lour­de­ment grevé de contraintes socio­lo­giques et esthé­tiques pour espé­rer être revi­vi­fié. Il inves­tit donc plu­tôt dans le roman et la poé­sie, mal­gré quelques incur­sions notables dans le domaine théâ­tral : Breton et Soupault signent ainsi quelques textes (S’il vous plaît, Le Trésor des Jésuites, Vous m’ou­blie­rez), Aragon publie deux pièces (L’Armoire à glace un beau soir, Au pied du mur), mais ces ten­ta­tives, si elles mettent à mal les caté­go­ries dra­ma­tur­giques usuelles du théâtre de l’illu­sion régi par les prin­cipes de logique et de vrai­sem­blance, si elles intro­duisent éga­le­ment de nou­veaux thèmes sur la scène (le rêve, l’a­mour, l’en­fance, l’in­cons­cient) n’a­bou­tissent pas à un renou­vel­le­ment du genre, dans la mesure où l’i­mage y conserve un sta­tut pure­ment lit­té­raire et ne débouche pas sur une inno­va­tion scénique.

Il existe pour­tant une excep­tion de taille à ce constat géné­ral. Grâce à Roger Vitrac, le réper­toire sur­réa­liste peut s’e­nor­gueillir de quelques titres – Les Mystères de l’a­mour, Victor ou les enfants au pou­voir, Le Peintre, L’Éphémère – qui marquent une étape fon­da­men­tale dans l’é­vo­lu­tion de l’é­cri­ture théâ­trale, en ce que dans ses pièces « le conte­nu thé­ma­tique est inté­gré, indis­so­lu­ble­ment lié au conte­nant scé­nique », le théâtre de Vitrac abo­lis­sant tout « dif­fé­rence de nature » [Michel Corvin, « Subversions : de Jarry à Artaud »] entre l’é­cri­ture théâ­trale et l’é­cri­ture scé­nique. Vitrac crée non seule­ment des per­son­nages deve­nus inou­bliables (Victor, Ida Mortemart), mais leur fait incar­ner les zones les plus troubles de l’être, les pul­sions incons­cientes qui les agitent, met­tant bas les tabous pour révé­ler le scan­dale de l’en­fance broyée, pro­je­tant le spec­ta­teur dans un uni­vers oni­rique où s’é­va­nouissent les ras­su­rants repères moraux.

I.NA

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