La guerre (1914−1918) ayant provoqué l’effondrement des valeurs humanistes et bourgeoises sur lesquelles reposait la société européenne, le nouveau siècle va également profiter d’un courant artistique d’une ampleur et d’une portée sans égal. Le Surréalisme, né du Dadaïsme, va en effet donner naissance à une pensée et à une esthétique révolutionnaires, influencer profondément et durablement la création artistique dans tous les champs, y compris celui du théâtre.
Si le terme surréalisme, emprunté à Apollinaire, désigne bien une nouvelle façon de concevoir et de représenter la réalité, on pouvait penser que le théâtre deviendrait un lieu privilégié d’expression de ce nouveau courant artistique. Or il n’en est rien. Les précurseurs n’ont pourtant pas manqué qui, de Pierre Albert-Birot et Alfred Jarry à Raymond Roussel, ont déjà entrepris de déconstruire l’esthétique dramatique et ses conventions. Mais le groupe surréaliste conduit par André Breton voit dans le théâtre un genre trop lourdement grevé de contraintes sociologiques et esthétiques pour espérer être revivifié. Il investit donc plutôt dans le roman et la poésie, malgré quelques incursions notables dans le domaine théâtral : Breton et Soupault signent ainsi quelques textes (S’il vous plaît, Le Trésor des Jésuites, Vous m’oublierez), Aragon publie deux pièces (L’Armoire à glace un beau soir, Au pied du mur), mais ces tentatives, si elles mettent à mal les catégories dramaturgiques usuelles du théâtre de l’illusion régi par les principes de logique et de vraisemblance, si elles introduisent également de nouveaux thèmes sur la scène (le rêve, l’amour, l’enfance, l’inconscient) n’aboutissent pas à un renouvellement du genre, dans la mesure où l’image y conserve un statut purement littéraire et ne débouche pas sur une innovation scénique.
Il existe pourtant une exception de taille à ce constat général. Grâce à Roger Vitrac, le répertoire surréaliste peut s’enorgueillir de quelques titres – Les Mystères de l’amour, Victor ou les enfants au pouvoir, Le Peintre, L’Éphémère – qui marquent une étape fondamentale dans l’évolution de l’écriture théâtrale, en ce que dans ses pièces « le contenu thématique est intégré, indissolublement lié au contenant scénique », le théâtre de Vitrac abolissant tout « différence de nature » [Michel Corvin, « Subversions : de Jarry à Artaud »] entre l’écriture théâtrale et l’écriture scénique. Vitrac crée non seulement des personnages devenus inoubliables (Victor, Ida Mortemart), mais leur fait incarner les zones les plus troubles de l’être, les pulsions inconscientes qui les agitent, mettant bas les tabous pour révéler le scandale de l’enfance broyée, projetant le spectateur dans un univers onirique où s’évanouissent les rassurants repères moraux.
I.NA