De quelle façon la Chine, superpuissance, ambitieuse et conquérante, peut-elle être “à la fois un partenaire et une rivale systémique de l’Union Européenne”? Rivalité sino-américaine, crises diverses, pandémie, “il y a urgence à la métamorphose géopolitique de l’Europe.
“La notion d’ “Europe géopolitique traduit une prise de conscience importante, dans le contexte de la rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine et des tensions avec la Russie : c’est que l’Europe ne doit plus seulement se penser comme un espace économique vertueux et ouvert à la mondialisation, mais aussi comme un pôle de souveraineté dans un monde plus dangereux. On sent cette inflexion dans de nombreux pays, y compris le mien, les Pays-Bas, ou encore à Berlin. La France, depuis de Gaulle, rappelle le philosophe-historien, a toujours pensé l’Europe comme un projet géopolitique”.
” ‘l’Europe a changé de monde’, insiste Luuk van Middelaar tout au long de ses quatre cours. Une image, peut-être, résume à la fois la vulnérabilité européenne et la nouvelle organisation géopolitique mondiale. Le 13 mars 2020, un avion de la Croix-Rouge se pose sur le tarmac romain. Il apporte masques et matériel médical à une Italie frappée de plein fouet par le Covid-19, et qui avait appelé à l’aide ses partenaires européens une dizaine de jours auparavant. Mais l’avion n’est pas européen, ni même américain. Il est chinois. En s’attardant sur cette image, et par bien d’autres focus sur des moments concrets de l’actualité européenne récente, Luuk van Middelaar offre un ancrage concret aux auditeurs et auditrices, pour suivre sans mal le développement – brillant – de sa réflexion”.
“Dans la perception chinoise du temps, la diplomatie des Masques 2020 ressemblera à une compensation historique : le retournement ironique de la diplomatie de la canonnière des années 1840 – 1860, lorsque des navires britanniques, puis français et américains ont eu recours à la force pour accéder aux ports et au marché chinois, notamment pour vendre de l’opium”.
Le retour de la Chine en superpuissance fait de l’Allemagne sa proie
Nous assistons au retour de la Chine comme grande puissance, qui sait jouer du temps long, de son centralisme et de sa vision intégrée. Elle déploie sa nouvelle route de la soie, dont le volet maritime a été marqué par l’achat emblématique du port du Pirée en Grèce, tandis que l’Allemagne, à partir de 2016, s’avère être « la proie » des investisseurs chinois sur les nouvelles technologies.
Luuk van Middelaar explique le contexte de la nouvelle “onde de choc à partir de 2016” qui frappe l’Union Européenne, notamment avec l’offre d’acquisition de la société allemande Kuka, spécialisée dans les robots industriels par le chinois Midea :
“Désormais, la Chine s’affirme comme le rival des forts et non plus uniquement comme le bienfaiteur des faibles. En juillet 2016, la société chinoise Midea achète le joyau technologique allemand Kuka pour une somme record de plus de 4 milliards d’euros et demi. Ce fabricant de robots d’Augsbourg jouissait d’une grande renommée. Quelques mois à peine avant cette acquisition, à l’occasion d’une visite officielle du président Obama, des journaux allemands publièrent avec fierté la photo d’un robot Kuka servant une bière à la chancelière et à son invité américain. Le choc Kuka a été suivi d’une série d’investissements chinois et de tentatives de rachat de grandes entreprises allemandes. À partir de 2016, celles-ci, de même d’ailleurs que leurs homologues américaines, donc, ces entreprises, prennent conscience de la nouvelle réalité. Pékin est bien décidé, grâce à sa stratégie lancée en 2015, à devenir en dix ans le leader mondial dans les domaines de la technologie, de l’information, de l’intelligence artificielle, de la robotique, des voyages dans l’espace, etc. On voit donc qu’il aura fallu attendre que l’Allemagne soit devenue la proie de la Chine pour que l’Europe se réveille et fournisse une réponse concertée.”
L’Europe qui « fragmente ses choix en domaines politiques distincts », rappelle Luuk van Middelaar, est à la peine comme « acteur géostratégique », malgré les premières mesures à visées géo-économiques qui se mettent en place.
Aujourd’hui et demain, le philosophe-historien nous montre une Europe prise en tenaille entre la Chine et les Etats-Unis, y compris sur les grands récits que déploient les deux superpuissances qui s’affrontent pour garder le leadership mondial.
“La vulnérabilité médicale et la dépendance pharmaceutique révélée par la pandémie imposent à l’Union Européenne d’échapper à l’étau sino-américain du jour au lendemain”, note Luuk van Middelaar. Agir de façon indépendante en matière de politique étrangère apparaît comme une chose publique, une ‘res publica’.”
Alors, comment l’Europe découvre-t-elle qu’il n’y a « Pas de souveraineté narrative sans autonomie stratégique et inversement ? »
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