L’Europe face à la Chine

Temps de lec­ture : 3 minutes

De quelle façon la Chine, super­puis­sance, ambi­tieuse et conqué­rante, peut-elle être “à la fois un par­te­naire et une rivale sys­té­mique de l’Union Européenne”? Rivalité sino-américaine, crises diverses, pan­dé­mie, “il y a urgence à la méta­mor­phose géo­po­li­tique de l’Europe.

“La notion d’ “Europe géo­po­li­tique tra­duit une prise de conscience impor­tante, dans le contexte de la riva­li­té crois­sante entre les États-Unis et la Chine et des ten­sions avec la Russie : c’est que l’Europe ne doit plus seule­ment se pen­ser comme un espace éco­no­mique ver­tueux et ouvert à la mon­dia­li­sa­tion, mais aussi comme un pôle de sou­ve­rai­ne­té dans un monde plus dan­ge­reux. On sent cette inflexion dans de nom­breux pays, y com­pris le mien, les Pays-Bas, ou encore à Berlin. La France, depuis de Gaulle, rap­pelle le philosophe-historien, a tou­jours pensé l’Europe comme un pro­jet géopolitique”.

” ‘l’Europe a chan­gé de monde’, insiste Luuk van Middelaar tout au long de ses quatre cours. Une image, peut-être, résume à la fois la vul­né­ra­bi­li­té euro­péenne et la nou­velle orga­ni­sa­tion géo­po­li­tique mon­diale. Le 13 mars 2020, un avion de la Croix-Rouge se pose sur le tar­mac romain. Il apporte masques et maté­riel médi­cal à une Italie frap­pée de plein fouet par le Covid-19, et qui avait appe­lé à l’aide ses par­te­naires euro­péens une dizaine de jours aupa­ra­vant. Mais l’avion n’est pas euro­péen, ni même amé­ri­cain. Il est chi­nois. En s’attardant sur cette image, et par bien d’autres focus sur des moments concrets de l’actualité euro­péenne récente, Luuk van Middelaar offre un ancrage concret aux audi­teurs et audi­trices, pour suivre sans mal le déve­lop­pe­ment – brillant – de sa réflexion”.

“Dans la per­cep­tion chi­noise du temps, la diplo­ma­tie des Masques 2020 res­sem­ble­ra à une com­pen­sa­tion his­to­rique : le retour­ne­ment iro­nique de la diplo­ma­tie de la canon­nière des années 1840 – 1860, lorsque des navires bri­tan­niques, puis fran­çais et amé­ri­cains ont eu recours à la force pour accé­der aux ports et au mar­ché chi­nois, notam­ment pour vendre de l’opium”. 

Le retour de la Chine en superpuissance fait de l’Allemagne sa proie

Nous assis­tons au retour de la Chine comme grande puis­sance, qui sait jouer du temps long, de son cen­tra­lisme et de sa vision inté­grée. Elle déploie sa nou­velle route de la soie, dont le volet mari­time a été mar­qué par l’achat emblé­ma­tique du port du Pirée en Grèce, tan­dis que l’Allemagne, à par­tir de 2016, s’avère être « la proie » des inves­tis­seurs chi­nois sur les nou­velles tech­no­lo­gies.
Luuk van Middelaar explique le contexte de la nou­velle “onde de choc à par­tir de 2016” qui frappe l’Union Européenne, notam­ment avec l’offre d’ac­qui­si­tion de la socié­té alle­mande Kuka, spé­cia­li­sée dans les robots indus­triels par le chi­nois Midea :

“Désormais, la Chine s’af­firme comme le rival des forts et non plus uni­que­ment comme le bien­fai­teur des faibles. En juillet 2016, la socié­té chi­noise Midea achète le joyau tech­no­lo­gique alle­mand Kuka pour une somme record de plus de 4 mil­liards d’eu­ros et demi. Ce fabri­cant de robots d’Augsbourg jouis­sait d’une grande renom­mée. Quelques mois à peine avant cette acqui­si­tion, à l’oc­ca­sion d’une visite offi­cielle du pré­sident Obama, des jour­naux alle­mands publièrent avec fier­té la photo d’un robot Kuka ser­vant une bière à la chan­ce­lière et à son invi­té amé­ri­cain. Le choc Kuka a été suivi d’une série d’in­ves­tis­se­ments chi­nois et de ten­ta­tives de rachat de grandes entre­prises alle­mandes. À par­tir de 2016, celles-ci, de même d’ailleurs que leurs homo­logues amé­ri­caines, donc, ces entre­prises, prennent conscience de la nou­velle réa­li­té. Pékin est bien déci­dé, grâce à sa stra­té­gie lan­cée en 2015, à deve­nir en dix ans le lea­der mon­dial dans les domaines de la tech­no­lo­gie, de l’in­for­ma­tion, de l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle, de la robo­tique, des voyages dans l’es­pace, etc. On voit donc qu’il aura fallu attendre que l’Allemagne soit deve­nue la proie de la Chine pour que l’Europe se réveille et four­nisse une réponse concertée.”

L’Europe qui « frag­mente ses choix en domaines poli­tiques dis­tincts », rap­pelle Luuk van Middelaar, est à la peine comme « acteur géos­tra­té­gique », mal­gré les pre­mières mesures à visées géo-économiques qui se mettent en place.

Aujourd’hui et demain, le philosophe-historien nous montre une Europe prise en tenaille entre la Chine et les Etats-Unis, y com­pris sur les grands récits que déploient les deux super­puis­sances qui s’affrontent pour gar­der le lea­der­ship mondial. 

“La vul­né­ra­bi­li­té médi­cale et la dépen­dance phar­ma­ceu­tique révé­lée par la pan­dé­mie imposent à l’Union Européenne d’é­chap­per à l’é­tau sino-américain du jour au len­de­main”, note Luuk van Middelaar. Agir de façon indé­pen­dante en matière de poli­tique étran­gère appa­raît comme une chose publique, une ‘res publica’.”

Alors, com­ment l’Europe découvre-t-elle qu’il n’y a « Pas de sou­ve­rai­ne­té nar­ra­tive sans auto­no­mie stra­té­gique et inversement ? »

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