Elles ne sont pas à proprement parler mensongères, l’adjectif « fausses » ne signifiant pas ici le contraire de vrai. La fausseté ne réside pas dans le fond, mais dans la manière de le dire, dans le choix du moment, etc. Les confidences de Dubois sont « fausses » de n’être qu’apparemment des confidences. Et il y a des confidences faites par d’autres personnages, qui, elles, sont vraiment fausses.
En I, 3 seulement, on trouve une vraie fausse confidence, mais faite dans une intention honnête, quand M. Remy fait croire à Marton que Dorante l’aime depuis quelque temps.
En I, 14, quand Dubois révèle à Araminte, en feignant de se faire arracher un aveu, que Dorante l’aime passionnément, lui raconte comment cette passion est née, lui indique qu’elle ne doit pas s’attendre à un aveu, car le jeune homme la respecte infiniment, lui révèle qu’il plaît à d’autres femmes qui vont jusqu’à le poursuivre, les informations qu’il transmet ne sont pas inexactes.
Rien ne permet aux spectateurs de douter que la passion de Dorante n’ait eu ce caractère destructeur que lui attribue Dubois devant Araminte. Ainsi, la description qu’il en fait ne peut être tenue pour fausse, mais simplement pour affectée. Elle n’est, à la bien prendre, qu’une déclaration d’amour par personne interposée, ce qui n’avait rien d’insolite dans le théâtre de Marivaux (dans ‘’Les serments indiscrets’’ [IV, 9] Lucile nomme « fausse confidence » la mission dont elle charge Lisette, et qui consiste à faire entendre à Damis qu’elle l’aime). C’est I’intention avec laquelle iI les transmet qui est trompeuse. Il est vrai que Dorante n’oserait jamais avouer à Araminte qu’il I’aime : son respect pour elle et pour les valeurs sociales I’en empêchent. Mais I’amour d’Araminte, qui n’est au début qu’un goût ou uneattirance, ne peut se développer que par contagion ; il faut qu’elle connaisse les sentiments que Dorante ne peut exprimer devant elle ; c’est donc Dubois qui se charge, avec une habileté consommée, de la confidence qui la bouleverse.
Le procédé ainsi défini, on s’aperçoit que Marivaux I’applique à plusieurs autres reprises dans la pièce :
- En I, 17, la confidence exacte de Dubois à Marton, par laquelle il lui révèle l’intérêt que Dorante porte à Araminte, et jette l’inquiétude en son cœur.
- En II, 1, Dorante incite Araminte à plaider et donc à ne pas se marier avec le comte, comme à se séparer de Dubois auquel cependant elle dit tenir.
- En II, 2, M. Remy annonce à son neveu qu’une femme très riche est prête à l’épouser, mais on peut se demander si ce n’est pas un subterfuge de Dubois.
- En II, 10, Arlequin et Dubois se disputent à propos d’un tableau représentant Araminte, que l’ancien valet avait fait enlever de la chambre de Dorante, qui, d’après lui, avait fait le portrait qui avait été Iivré par erreur (mais est-ce bien une erreur?) à Marton ; et Dubois s’arrange pour qu’Arlequin révèle devant tous que Dorante le contemplait « de tout son cœur ».
- En 2, 13, Araminte elle-même informe faussement Dorante qu’elle est décidée à épouser le comte.
- En II, 16, Araminte prétend à Dubois que Dorante ne s’est pas déclaré.
- En III, 2, Dubois propose à Marton de s’emparer de la lettre qu’il a lui-même complotée avec
Dorante, et qu’on pourrait appeler une fausse confidence par correspondance.
- En III, 9, Dubois vient décrire à Araminte le désespoir de Dorante, et se vante d’avoir fait subtiliser la lettre, d’être l’instigateur de sa lecture publique, déclenchant en elle, sciemment, une émotion qui prend d’abord la forme de la colère, mais se résout finalement en aveu.
- En III, 12, Dorante révèle à Araminte le rôle qu’a joué Dubois, les « fausses confidences » dont elle a été victime.
Tous les faits que Dubois rapporte sont exacts. Ses confidences sont moins fausses que motrices,
alors que c’est Araminte qui, à deux reprises, ment.
Source : C.L