Olympe de Gouges – Déclaration des droits de la femme et du citoyen – articles 12 à 17 – analyse

Temps de lec­ture : 6 minutes

Article 12. La garan­tie des droits de la femme et de la citoyenne néces­site une uti­li­té majeure ; cette garan­tie doit être ins­ti­tuée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité par­ti­cu­lière de celles à qui elle est confé­rée.
Article 13. Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, les contri­bu­tions des femmes et des hommes sont égales ; elle a part à toutes les cor­vées, à toutes les tâches pénibles, elle doit donc avoir de même part à la dis­tri­bu­tion des places, des emplois, des charges, des digni­tés et de l’industrie.
Article 14. Les citoyennes et citoyens ont le droit de consta­ter par eux-mêmes ou par leurs repré­sen­tants la néces­si­té de la contri­bu­tion publique. Les citoyennes ne peuvent y adhé­rer que par l’admission d’un par­tage égal, non seule­ment dans la for­tune, mais encore dans l’Administration publique et de déter­mi­ner la quo­ti­té, l’assiette, le recou­vre­ment et la durée de l’impôt.
Article 15. La masse des femmes, coa­li­sée pour la contri­bu­tion à celle des hommes, a le droit de deman­der compte à tout agent public de son admi­nis­tra­tion.
Article 16. Toute socié­té dans laquelle la garan­tie des droits n’est pas assu­rée, ni la sépa­ra­tion des pou­voirs déter­mi­née, n’a point de consti­tu­tion. La consti­tu­tion est nulle si la majo­ri­té des indi­vi­dus qui com­posent la Nation n’a pas coopé­ré à sa rédac­tion.
Article 17. Les pro­prié­tés sont à tous les sexes réunis ou sépa­rés : elles sont pour cha­cun un droit invio­lable et sacré ; nul ne peut être privé comme vrai patri­moine de la nature, si ce n’est lorsque la néces­si­té publique, léga­le­ment consta­tée, l’exige évi­dem­ment et sous la condi­tion d’une juste et préa­lable indemnité.

En quoi les articles 12 à 17 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne réfléchissent-ils au rôle poli­tique de la femme dans la société ?

I – L’article 1 : la garan­tie des droits de la femme
L’article 12 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne reprend la struc­ture syn­taxique de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen mais en détourne com­plè­te­ment le sens.
En effet, l’article 12 de la DDHC pré­voit un pou­voir de police néces­saire à la garan­tie des droits de l’homme.
Or Olympe de Gouges rem­place le groupe nomi­nal « force publique » de la DDHC par « uti­li­té majeure » : « “La garan­tie des droits de la femme et de la citoyenne néces­site une uti­li­té majeure.” »
Elle ne s’intéresse ainsi plus à l’instauration concrète d’un pou­voir de police mais à la dimen­sion morale de la garan­tie des droits de la femme.
Elle consi­dère en effet que la garan­tie des droits de la femme est un avan­tage pour la socié­té comme en témoigne le champ lexi­cal du libé­ra­lisme : “« uti­li­té », « majeure », « avan­tage de tous », « uti­li­té par­ti­cu­lière »”.
Selon l’idéologie libé­rale en vogue à la fin du 18ème siècle, la somme du bien-être indi­vi­duel consti­tue le bien-être col­lec­tif et le bon­heur de tous.
Olympe de Gouges uti­lise cette doc­trine pour faire valoir le droit des femmes : la garan­tie de leurs droits béné­fi­cie­ra à l’ensemble de la socié­té.
Mais contrai­re­ment aux droits de l’homme, le droit des femmes reste encore à éla­bo­rer comme le montre l’emploi du verbe devoir : « “doit être instituée” ».

II – Les articles 13 à 15 : une concep­tion dis­tri­bu­tive de la jus­tice
L’article 13 de la DDHC de 1789 pose le prin­cipe de l’obligation fis­cale (« “une contri­bu­tion com­mune est indis­pen­sable”») et de la pro­por­tion­na­li­té de l’impôt (« “en rai­son de leurs facul­tés” »).
Olympe de Gouges modi­fie pro­fon­dé­ment le sens de cet article. Dans son article 13 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle s’intéresse non pas au prin­cipe de contri­bu­tion mais à la qua­li­té des contri­bu­teurs : « “les contri­bu­tions de l’homme et de la femme sont égales” ».
Pour jus­ti­fier cette éga­li­té, Olympe de Gouges dresse un tableau éclair de la condi­tion fémi­nine à tra­vers un registre tra­gique : « cor­vées », « tâches pénibles ». Le déter­mi­nant « toutes » donne un carac­tère hyper­bo­lique à cette sou­mis­sion de la femme au modèle patriar­cal.
Olympe de Gouges place ainsi la femme dans une situa­tion de cré­di­trice : puisqu’elle se charge des tâches pénibles, elle doit rece­voir le salaire de ses cor­vées. Le connec­teur logique de consé­quence (« elle doit donc avoir… » ) insiste sur la logique de son pro­pos.
L’auteure reprend l’énumération des droits évo­qués dans l’article 6 de la DDHC : « “dis­tri­bu­tion des places, des emplois, des charges, des digni­tés et de l’industrie ”».
On note qu’elle ajoute aux droits évo­qués dans la DDHC, l’ « indus­trie » qui désigne au 18ème siècle toute acti­vi­té pro­duc­tive (au-delà de ce que nous appe­lons aujourd’hui indus­trie) et qui per­met sub­ti­le­ment d’introduire tout tra­vail exer­cé par les femmes, même gra­tui­te­ment.
Le terme « dis­tri­bu­tion » sou­ligne la concep­tion dis­tri­bu­tive de la jus­tice par­ta­gée par Olympe de Gouges : il s’agit de répar­tir les biens, digni­tés et emplois en fonc­tion du mérite et de la valeur de cha­cun.
En men­tion­nant « “les emplois, les charges et les digni­tés”« , Olympe de Gouges attri­bue aux femmes un droit au tra­vail sala­rié et sou­haite ainsi les libé­rer du tra­vail exclu­si­ve­ment domes­tique exer­cé à titre gra­tuit.
L’article 14 de la DDHC de 1789 ajoute à la néces­si­té de l’impôt de consen­te­ment fis­cal : «“Tous les citoyens ont le droit de consta­ter la néces­si­té de la contri­bu­tion publique, de la consen­tir libre­ment”».
Si Olympe de Gouges réaf­firme le prin­cipe de néces­si­té de la contri­bu­tion, elle sup­prime la notion de consen­te­ment fis­cal pour insis­ter sur l’égalité de la charge fis­cale «“Les citoyennes ne peuvent y adhé­rer que par l’admission d’un par­tage égal, non seule­ment dans la for­tune mais encore dans l’administration publique”».
Olympe de Gouges rac­croche à la fin de son article 14 la pro­po­si­tion finale de l’article 14 de la DDHC : « “et de déter­mi­ner la quo­ti­té, l’assiette, le recou­vre­ment et la durée de l’impôt” ». Néanmoins, ce rac­cro­chage se fait au prix d’une ana­co­luthe (rup­ture syn­taxique), ce qui montre la dis­tance iro­nique que prend Olympe de Gouges avec le texte de la Révolution qui n’a pas tenu ses pro­messes.
L’article 15 de la DDHC de 1789 pré­voit que « “La Société a le droit de deman­der compte à tout Agent public de son admi­nis­tra­tion.”« 
Olympe de Gouges rem­place la « Société » par la « “masse des femmes, coa­li­sée pour la contri­bu­tion à celle des hommes ”». Cette péri­phrase est beau­coup moins neutre que « socié­té » et reprend une séman­tique révo­lu­tion­naire à tra­vers les mots « masse » et « coa­li­sée » qui sug­gèrent une alliance ou un pacte.
Cette péri­phrase montre bien l’état d’esprit d’Olympe de Gouges lorsqu’elle rédige sa Déclaration : les femmes doivent se battre pour défendre leur condition.

III – L’article 16 : La Constitution doit être éla­bo­rée par l’ensemble des citoyens
L’article 16 de la Déclaration des droits de la femme reprend lit­té­ra­le­ment tout l’article 16 de la DDHC de 1789. Cet article pré­voit la garan­tie des droits et la sépa­ra­tion des pou­voirs.
En revanche, Olympe de Gouges ajoute une men­tion de son cru qui modi­fie la théo­rie de la repré­sen­ta­tion héri­tée de Rousseau dans Du Contrat social (1762) : « “la Constitution est nulle, si la majo­ri­té des indi­vi­dus qui com­posent la nation, n’a pas coopé­ré à sa rédac­tion.”« 
Le terme juri­dique « nulle » est fort : il frappe de nul­li­té toute Constitution où la majo­ri­té des indi­vi­dus qui com­pose la nation n’aurait pas « coopé­ré » à sa « rédac­tion ».
Par le terme « indi­vi­du » – rem­pla­çant celui plus atten­du de « citoyen » – Olympe de Gouges met l’homme et la femme sur un pied d’égalité.
Elle efface la dis­tinc­tion sexuelle pour mon­trer que l’un comme l’autre ont un égal accès à la citoyen­ne­té poli­tique.
Elle rap­pelle éga­le­ment que les hommes seuls ne consti­tuent pas la majo­ri­té de la Société. Cet article est auda­cieux puisqu’Olympe de Gouges affirme la nul­li­té de la Constitution révo­lu­tion­naire, les femmes n’ayant pas par­ti­ci­pé à son éla­bo­ra­tion.
La femme, comme l’homme, doit être une citoyenne active, co-rédactrice du texte constitutionnel.

IV – Articles 17 : le droit à la pro­prié­té
L’article 17 qui vient clore la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne reprend la struc­ture syn­taxique de l’article 17 de la DDHC de 1789.
Il modi­fie tou­te­fois de manière signi­fi­ca­tive cer­tains mots.
Ainsi, Olympe de Gouges rem­place la « pro­prié­té » de la DDHC par « Les pro­prié­tés » au plu­riel.
Surtout, elle attri­bue la pro­prié­té non pas au foyer conju­gal mais aux indi­vi­dus qui peuvent vivre « sépa­rés » : « “Les pro­prié­tés sont à tous les sexes réunis ou sépa­rés” » .
Olympe de Gouges crée une rup­ture avec la concep­tion tra­di­tion­nelle de la famille où la pro­prié­té appar­tient au père de famille.
Le carac­tère « “invio­lable et sacré” » que la DDHC attache à la pro­prié­té et asso­cié par Olympe de Gouges au pro­prié­taire, qui peut être un homme ou une femme.
Elle ajoute une pro­po­si­tion assez énig­ma­tique « “comme vrai patri­moine de la nature” » qui témoigne d’un chan­ge­ment de phi­lo­so­phie. Pour Olympe de Gouges, le « patri­moine » tra­di­tion­nel, atta­ché au père de famille, n’est pas le « “vrai patri­moine de la nature” » qui ne crée pas de dif­fé­rence entre les sexes dans l’accès à la pro­prié­té.
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, articles 11 à 17 : conclu­sion
Les articles 12 à 17 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne sou­lignent que le rôle poli­tique des femmes est à par­faire.
En réécri­vant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, Olympe de Gouges cor­rige les manques de ce texte juri­dique et ajoute des notions qui per­mettent de créer une éga­li­té entre l’homme et la femme.
Dans le pos­tam­bule, elle va s’adresser direc­te­ment aux femmes pour leur insuf­fler la colère contre l’ingratitude des hommes et le cou­rage de faire valoir leurs droits dans un com­bat politique.

Source : com­men­tai­re­com­pose Haut

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