Olympe de Gouges – Déclaration des droits de la femme et du citoyen – articles 7 à 11 – analyse

Temps de lec­ture : 5 minutes

Article 7. Nulle femme n’est excep­tée ; elle est accu­sée, arrê­tée, et déte­nue dans les cas déter­mi­nés par la loi : les femmes obéissent comme les hommes à cette loi rigoureuse.

Article 8. La loi ne doit éta­blir que des peines stric­te­ment et évi­dem­ment néces­saires, et nulle ne peut être punie qu’en vertu d’une loi éta­blie et pro­mul­guée anté­rieu­re­ment au délit, et léga­le­ment appli­quée aux femmes.

Article 9. Toute femme étant décla­rée cou­pable, toute rigueur est exer­cée par la loi.

Article 10. Nul ne doit être inquié­té pour ses opi­nions même fon­da­men­tales ; la femme a le droit de mon­ter sur l’échafaud, elle doit éga­le­ment avoir celui de mon­ter à la tri­bune, pour­vu que ses mani­fes­ta­tions ne troublent pas l’ordre public éta­bli par la loi.

Article 11. La libre com­mu­ni­ca­tion des pen­sées et des opi­nions est un des droits les plus pré­cieux de la femme, puisque cette liber­té assure la légi­ti­mi­té des pères envers leurs enfants. Toute citoyenne peut donc dire libre­ment : je suis mère d’un enfant qui vous appar­tient, sans qu’un pré­ju­gé bar­bare la force à dis­si­mu­ler la véri­té ; sauf à répondre de l’abus de cette liber­té dans des cas déter­mi­nés par la loi.

En quoi les articles 7 à 11 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne affirment-ils le prin­cipe d’égalité entre l’homme et la femme tout en met­tant en valeur la situa­tion tra­gique des femmes ?

I – L’affirmation de l’égalité entre l’homme et la femme
(Articles 7 et 8)

L’article 7 est peut-être l’article de la DDHC de 1789 qui a été le plus réécrit et réin­ter­pré­té par Olympe de Gouges.

Comme dans la DDHC, l’article 7 com­mence par une double néga­tion : «“Nulle femme n’est excep­tée »”: cette double néga­tion per­met de cor­ri­ger la néga­tion de l’identité fémi­nine dans l’approche révo­lu­tion­naire de l’humanité.

Pour les Révolutionnaires, l’homme est un être abs­trait, dés­in­car­né, le sexe n’étant qu’un accident.

Olympe de Gouges modi­fie com­plè­te­ment cette approche révo­lu­tion­naire.
En rem­pla­çant le terme « homme », géné­rique et dési­gnant « être humain » dans la DDHC par « femme », Olympe de Gouges fait acte de dis­rup­tion phi­lo­so­phique. Elle sou­ligne que l’homme, caté­go­rie abs­traite, n’existe pas. N’existent que le par­ti­cu­lier, carac­té­ri­sé par l’appartenance sexuelle.

Olympe de Gouges reprend à la DDHC le rythme ter­naire : « “elle est accu­sée, arrê­tée, déte­nue dans les cas déter­mi­nés par la loi” ». Mais elle modi­fie pro­fon­dé­ment le sens ori­gi­nal de la DDHC. En effet, la DDHC déclare : « “Nul homme ne peut être accu­sé, arrê­té ni déte­nu que dans les cas déter­mi­nés par la Loi, et selon les formes qu’elle a pres­crites.” » Cette phrase pose donc le prin­cipe juri­dique de léga­li­té : nulle peine sans texte de loi.

La majus­cule du terme « Loi » dans la DDHC montre bien la sacra­li­sa­tion de la loi.

Mais Olympe de Gouges s’inscrit dans une démarche toute autre et sup­prime la majus­cule au terme « loi ». Pour elle, l’important est l’égalité de l’homme et de la femme devant la peine, comme le montre la com­pa­rai­son « “comme les hommes” » .

C’est ainsi qu’Olympe de Gouges sup­prime de son texte tout ce qui concerne l’arbitraire de la loi ainsi que le devoir d’obéissance. Elle décentre le pro­pos de la DDHC pour insis­ter sur le res­pect des lois par les femmes : « “les femmes obéissent comme les hommes” ».

L’article 8 suit la même logique. Il est en appa­rence rigou­reu­se­ment fidèle à l’article 8 de la DDHC de 1789. Le style est juri­dique et on retrouve les deux verbes carac­té­ris­tiques de l’écriture juri­dique « pou­voir » et « devoir » : « “ne doit éta­blir », « nul ne peut être puni “».

Le pré­sent de véri­té géné­rale (« “la loi ne doit…”« ) et les nom­breux adverbes de l’article (“«stric­te­ment », « évi­dem­ment », « anté­rieu­re­ment », « léga­le­ment»”) cor­res­pondent au carac­tère abs­trait et uni­ver­sel des textes de lois.

Mais alors que la rédac­tion de l’article 8 est iden­tique à celle de la DDHC de 1789, Olympe de Gouges ajoute un com­plé­ment au verbe « appli­quée » : « “appli­quée aux femmes” ».

Ici, Olympe de Gouges se livre à l’exercice lit­té­raire et pré­cieux de la pointe ou concet­to (la pointe finale dans les son­nets ita­liens), au prix d’une dis­tor­sion de sens qui rend l’ajout presque comique.

En effet, Olympe de Gouges aurait dit «“appli­quée (aussi) aux femmes”», on aurait com­pris la recherche d’égalité expri­mée dans l’article pré­cé­dent. Or, ici, Olympe de Gouges opère un détour­ne­ment iro­nique qui donne l’impression que la puni­tion s’applique exclu­si­ve­ment aux femmes.

II – La situa­tion tra­gique des femmes
(articles 9, 10, 11)

L’article 9 est sans doute l’article le plus iro­nique de la Déclaration d’Olympe de Gouges.

En effet, le célèbre article 9 de la DDHC de 1789 évoque la pré­somp­tion d’innocence : « “Tout homme étant pré­su­mé inno­cent jusqu’à ce qu’il ait été décla­ré coupable (… ) “».

Mais dans sa Déclaration, Olympe de Gouges change com­plè­te­ment le sens de cet article : « “Toute femme étant décla­rée cou­pable, toute rigueur est exer­cée par la loi.” ». Olympe de Gouges applique presque aux femme une pré­somp­tion de culpabilité !

Dans la DDHC de 1789, le rigueur de la loi est dénon­cée comme étant par­fois abu­sive et contraire au prin­cipe de pré­somp­tion d’innocence.

Ironiquement, Olympe de Gouges réclame au contraire cette rigueur pour les femmes.

C’est que pour Olympe de Gouges, la rigueur de la loi et le châ­ti­ment font exis­ter les femmes juridiquement.

L’article 10 de la DDHC est éga­le­ment détour­né de son sens par Olympe de Gouges. Dans la DDHC de 1789, l’article 10 pré­cise que « “Nul ne doit être inquié­té pour ses opi­nions, mêmes religieuses “».

En 1789, l’essentiel réside dans l’expression « même reli­gieuse » puisque le rédac­teur de la DDHC repre­nait les prin­cipes de liber­té de conscience issu des Lumières.

Olympe de Gouges occulte cet aspect reli­gieux en rem­pla­çant l’adjectif « reli­gieuses » par « fon­da­men­tales » dont le sens est assez obs­cur. Sans doute désigne-t-il l’ensemble des opi­nions reli­gieuses, phi­lo­so­phiques, scien­ti­fiques que la femme pour­rait exprimer.

Olympe de Gouges a recours a une image vio­lente, inexis­tante dans la DDHC de 1789 : « “la femme a le droit de mon­ter sur l’échafaud” » .

Mais si elle réclame un droit à l’échafaud, c’est pour mieux jus­ti­fier « “celui de mon­ter à la tri­bune”« . Le paral­lé­lisme de construc­tion syn­taxique entre ces deux pro­po­si­tions, avec la répé­ti­tion de verbe « mon­ter » éta­blit la réci­pro­ci­té entre ces deux droits.

Lorsque l’on connaît le des­tin d’Olympe de Gouges, guillo­ti­née en 1793 pour son hos­ti­li­té aux crimes de la Terreur, cette image prend l’allure d’une sinistre pro­phé­tie pleine d’ironie tragique.

L’article 11 com­mence comme dans la DDHC de 1789 sur la «” libre com­mu­ni­ca­tion des pen­sées et des opi­nions “». Dans la DDHC de 1789, il s’agit d’un article qui garan­tit la liber­té d’expression.

Mais Olympe de Gouges res­serre la por­tée de cet article à la liber­té d’expression de la femme en sub­sti­tuant le terme « femmes » à celui ‘d’Homme » qui dési­gnait le genre humain dans la DDHC de 1789 : « “La libre com­mu­ni­ca­tion des pen­sées et des opi­nions est un des droits les plus pré­cieux de la femme”« .

Elle en explique immé­dia­te­ment la rai­son dans une pro­po­si­tion subor­don­née cir­cons­tan­cielle de cause : « “puisque cette liber­té assure la légi­ti­mi­té des pères envers les enfants “».

Elle change donc radi­ca­le­ment le sens et la por­tée de l’article 11 de la DDHC en y fai­sant appa­raître un droit de la femme à dévoi­ler l’identité du père de ses enfants. En creux, cet article esquisse un devoir de l’homme de recon­naître ses enfants.

De façon sur­pre­nante dans un texte juri­dique, Olympe de Gouges crée une petite say­nète en don­nant la parole à la femme abu­sée comme le montre la typo­gra­phie en ita­lique (« “je suis mère d’un enfant qui vous appartient “»).

Ce fai­sant, elle donne à voir le pro­cès de l’homme pré­da­teur et liber­tin sou­te­nue par une socié­té pleine de « “pré­ju­gés bar­bares” », qui rendent le père irres­pon­sable.
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, articles 7 à 11, conclusion

La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est une réécri­ture de La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cette réécri­ture per­met à Olympe de Gouges de reprendre le texte révo­lu­tion­naire pour en cor­ri­ger les manques et ajou­ter des notions qui per­mettent de créer une éga­li­té entre l’homme et la femme.

On voit à tra­vers cette réécri­ture com­bien la Déclaration des droits de la femme d’Olympe de Gouges est un appel à une révo­lu­tion inté­rieure et morale autant que politique.

Pour l’auteure, il faut remo­de­ler l’esprit de la socié­té dans son ensemble pour atteindre une éga­li­té entre l’homme et la femme.

Source : commentairescomposes

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