Les questions du pouvoir, de la manière de l’exercer, du type de gouvernement, intéressent fortement les humanistes, au même titre que l’éducation. Pourtant, il n’est fait aucune mention dans le programme éducatif de Gargantua d’un enseignement politique. Jamais il n’est mentionné qu’il étudie la diplomatie, la stratégie ou la tactique. Cet apprentissage doit malgré tout se faire, probablement par la lecture des historiens et des philosophes anciens, ainsi que par celle des romans de chevalerie. Dans un souci de constituer un homme digne de ce nom, la pédagogie rabelaisienne associe la formation intellectuelle, morale, politique et religieuse.
La guerre picrocholine permet à Rabelais de dresser le portrait d’un monarque humaniste, construit par opposition au tyran qu’est Picrochole et qu’il associe plus ou moins à Charles Quint. La réflexion politique de R. n’est pas utopiste, comme l’était celle de T. More, elle se fonde sur l’observation de l’actualité politique de son temps et reconstruit, à partir d’une réalité dont elle connaît les défauts, un idéal où se concilient la persistance du modèle monarchique et les exigences de la pensée humaniste : Louis XII et François Ier durent lui servir de modèles.
1 Picrochole ou le tyran.
Picrochole est le modèle du mauvais roi. En contrepoint du personnage de Frère Jean, il représente une autre forme de démesure : à la profusion comique et généreuse du premier s’oppose la démesure tragique du second. En même temps, Rabelais met en avant une réflexion politique, en s’opposant à l’esprit de conquête.
L’on peut parler, à juste titre, de folie picrocholine : sa conduite caricature les principes de la féodalité.
Plusieurs témoignages de ce dérèglement sont présentés tour à tour.
- L’énormité des moyens mis en oeuvre dans l’invasion du royaume de Grandgousier, pour le nombre et pour les actions commises (pillages, dévastations et massacres dès la fin du chapitre 26) est évidemment disproportionnée par rapport à la cause première de la guerre (la fouace refusée aux bergers de Grandgousier).
- Il agit sans réfléchir et sans consulter son conseil (voir + haut la manière dont il déclenche la guerre), il réunit ses troupes en usant de la menace, il ne déclare pas la guerre officiellement, il rompt toutes es alliances sans prévenir et agit uniquement sous l’impulsion de son caprice et de sa colère, conformément à l’étymologie de son nom. Comme le dit Gallet dans sa harangue, « Où est foy ? Où est loy ? Où est raison ? Où est humanité ? Où est craincte de Dieu ? » (p. 242).
- La colère grandissante du roi s’installe ensuite dans une démesure croissante, marquée par l’opiniâtreté : approbation emportée à l’écoute du fouacier Marquet (ch. 26), refus de tout dialogue lorsque lui sont dépêchés des émissaires venus pour la paix (ch.31 : la harangue de Ulrich Gallet), entêtement, enfin, à ne pas comprendre le renversement du rapport de forces et le message de son lieutenant Touquedillon (ch. 48) et, pour terminer, dénouement personnel misérable dans lequel, loin de se repentir, il ne rêve que de vengeance (ch.49).
- Ce tyran s’affranchit non seulement de toutes les qualités morales et humaines préconisées par les humanistes, mais aussi de la foi chrétienne : « La chose est tant hors les metes de raison, tant abhorrente de sens commun, que apeine peut elle estre par humain entendement conceue et,jusques à ce, demourera non croiable entre les estrangiers, que l’effect asseuré et tesmoigné leur donne à entendre que rien n’est ny sainct, ny sacré à ceulx qui se sont emancipez de Dieu et raison pour suyvre leurs affections perverses. » (242).
- À ce manque d’humanité qui lui fait transgresser toutes les règles, il faut ajouter son impérialisme. En effet, P. s’est entouré d’un conseil de flatteurs, qui abondent dans le sens de ses caprices et le vantent comme un nouvel Alexandre. A ces prétentions prédatrices que dévoile Toucquedillon, GG répond : « Le temps n’est plus d’ainsi conquester les royauemes avecques dommaige de son prochain frere christian ; ceste imitation des anciens Hercules, Alexandres, Hannibalz, Scipions, Cesars et aultres telz est contraire à la profession de l’évangile, par lequel nous est commandé, guarder, saulver, regir et administrer chascun ses pays et terres, non hostilement envahir les aultres. » (322)
- Picrochole cumule donc tous les défauts du mauvais prince : incapable d’esprit d’examen lorsqu’éclate le conflit, emporté par ses passions (colère, cupidité, vantardise et orgueil, abandon à la fureur), coupable, enfin, d’opiniâtreté et de sottise extrême alors qu’il aurait l’occasion de sortir du conflit la tête haute (grâce à la largesse de Grandgousier) et de mettre fin à celui-ci avant qu’il ne soit trop tard. Il est donc tour à tour effrayant, puis ridicule lorsqu’il se trouve en situation d’infériorité : il s’agit bien de l’envers d’un humaniste, dont le caractère lettré, la culture antique, offriraient à l’inverse des exemples de sagesse et de mesure en matière de politique (è GG puis Gargantua).
Les chapitres 33 et 47 nous éclairent particulièrement sur l’attitude de Picrochole et la critique qu’elle véhicule. Ils opposent en effet la mégalomanie du prince encouragée par ses mauvais conseillers aux résultats de l’errance picrocholine.
Le chapitre 33 met en scène, sous la forme d’un dialogue, le mécanisme belliciste par lequel les conseillers, par ambition personnelle, flattent les mauvais penchants du prince pour l’entraîner à la conquête de nouveaux territoires. L’intérêt du chapitre est de grossir le trait jusqu’à la caricature en faisant ressortir les décalages (le conquérant de la Roche- Clermault devient le maître du monde !!), le discours au conditionnel tient lieu de réalité, au point même que le destinataire du discours n’en retrouve plus la cohérence et voit balayées ses dernières objections sensées. C’est que cette mégalomanie fuit toute logique, toute marque de bon sens, celle que tâche en vain de représenter Echéphron (p. 259). L’important, c’est de reconnaître ici le ridicule qui caractérise ce conquérant en chambre, mais aussi, par le registre comique du texte, les intentions plus sérieuses de Rabelais qui démonte le mécanisme redoutable d’une passion incontrôlée, prête à s’associer à tous les autres vices par simple suggestion. On voit, également, les affligeantes errances du dialogue pervers qui alimente la folie picrocholine.
Cette pensée évangélique et humaniste était déjà annoncée dans le chapitre 29 par Grandgousier dans la lettre qu’il adresse à son fils : “Dont j’ay congneu que Dieu eternel l’a laissé au gouvernail de son franc arbitre et propre sens, qui ne peult etre estre que meschant sy par grace divine n’est continuellement guidé, et pour le contenir en office et reduire à congnossance me l’a icy envoyé à molestes enseignes.” (p. 236). Il est également permis de reconnaître dans ce passage un sens allégorique : la figure de Picrochole ne serait autre que l’expression caricaturale, outrancière et ironique de Charles-Quint, dont l’ambition conquérante vise la terre tout entière à la même époque : autre démonstration du message codé qui figure dans Gargantua.
On opposera bien sûr point par point ce passage au résultat de telles ambitions dans le chapitre 47 : au caractère fictif des victoires de Picrochole, s’oppose la réalité des légions de Grandgousier, levées de manière populaire et comme spontanée, le caractère d’horlogerie de cette force, bien éloignée de l’emportement des pillards procédant par bandes (p. 328). Le dénouement sanglant au palais (Hastiveau et Touquedillon) offre un contraste saisissant face à l’enthousiasme verbal et mégalomane qui l’a précédé. Les deux chapitres se répondent, et s’inscrivent dans une construction générale du roman en inclusion.
2) Gargantua et Grandousier, princes humanistes
Le jeune Gargantua est représentatif d’un idéal humaniste qu’il retrouve et prolonge à partir de l’exemple fourni par son père. Ces valeurs sont représentatives d’un idéal de la Renaissance ; elles fondent une réflexion politique.
GG est à la tête d’une monarchie héréditaire et Gargantua est appelé à lui succéder en toute légitimité. Cette hérédité du pouvoir n’est pas contestée : faute de trouver Picrochole, G. fait instruire son fils pour qu’il puisse lui succéder. GG et G. déploient d’ailleurs tous les efforts diplomatiques pour éviter le conflit,tentent toutes les voies possibles de pacification, en vain. GG se conduit en prince philosophe, rôle qu’il destine ensuite à son fils, épousant l’idéal du prince chrétien dans la conception des humanistes. Sa bienveillance lui donne une certaine clairvoyance : il comprend que son fils, pour lui succéder, doit être instruit. Il le confie finalement à Ponocrates, qui en fait un savant, un esprit réfléchi, un humaniste, afin qu’il devienne lui aussi un prince accompli, un de ces rois philosophes que Platon appelle à la tête de sa république idéale (GG fait d’ailleurs référence à Platon p. 322).
Quelles sont les idées principales caractérisant cet idéal ?
- GG affirme les relations privilégiées qui doivent régner entre le Prince et ses sujets (P.235 apostrophe de GG réagissant à la nouvelle des exactions guerrières de P : « mes bonnes gens, mes amys et mes feaulx serviteurs » puis « mes pauvres subjectz »). GG est débonnaire et bienveillant, c’est un père pour ses sujets, dont il a soin de préserver la vie : nourri par eux, il a le devoir de les protéger et de les défendre Même s’il répugne à la guerre, au contraire de P., il exprime le devoir de protection comme un devoir paternel envers son peuple ( « secourir et guarantir mes pauvres subjetz ») ; il est contraint d’entreprendre une guerre défensive pour « guarder [ses] feaulx subjectz et terres hereditaires » (236) : la notion de vassal du MA est donc remplacée par la notion de sujet et R. se livre, à travers ce personnage, à une réflexion humaniste sur la responsabilité du prince.
S’il est contraint de mener une guerre défensive, il entend bien la faire en répandant le moins de sang possible, il souhaite même l’épargner à ses sujets. Loin de réclamer à des vassaux, comme le fait P., le service militaire qu’ils lui doivent et auquel ils ne semblent se résoudre qu’à contrecoeur, puisqu’il faut les menacer pour l’obtenir, GG, lui, dispose d’une armée de métier et refuse à ses alliés les secours qu’ils proposent tant que cela n’est pas indispensable.
Il mène la même réflexion (et lexique est aussi le même : « mes féaux sujets ») dans sa lettre à G., où il lui transmet son devoir de protection en faisant référence au « droit naturel » et où il lui rappelle que ses études humanistes vont prendre sens en se prolongeant et en se réalisant dans l’action.
- Il prône les bienfaits de la paix, et du règlement des conflits par la diplomatie, ce qui suppose l’écoute, le respect et l’amour d’autrui : cette dimension est particulièrement accentuée dans le discours de Gargantua, la générosité du vainqueur allant jusqu’à faire des dons au vaincu plutôt que de l’humilier, suscitant ainsi l’élan de son coeur et sa reconnaissance. Ici se reconnaît l’esprit de l’Evangile, à l’opposé du rex catholicus Charles Quint (p. 340). C’est dans cet esprit qu’on octroie la liberté aux prisonniers de guerre. (“Je vous absous et délivre, et vous rend francs et libères comme par avant”, p. 344). Compatissant pour les souffrances des blessés, il crée pour eux un hôpital, le grand nosocome ; il récompense largement ses troupes, et traite les vaincus avec une grande humanité.
- Le refus de la conquête : GG recherche une alliance pacifique avec les autres états (p ; 233 « P …mon amy ancien, de tout temps, de toute race et alliance » » ou début de la harangue d’Ulrich Gallet p.241). Ce refus de la conquête, affirmé par Grandgousier (p. 322), est confirmé par Gargantua puisqu’il confie le trône de Picrochole désormais vacant au fils de ce dernier. Les bénéfices de la guerre seront donc, non pas matériels et intéressés, mais d’ordre humaniste : on peut supposer que le futur roi, bien formé par Ponocrates, gouvernera sagement. (p. 346)
- La fermeté vis à vis des fauteurs de troubles (Picrochole et ses conseillers) : les valeurs chrétiennes n’excluent pas la lucidité (p. 346). Les méchants seront punis ; laissé à sa folie solitaire, Picrochole sombrera dans la misère mentale et physique. Tel est son châtiment, qu’il doit avant tout à lui-même.
- La parole est au coeur de cette mission civilisatrice : celle du père et du fils, de manière croissante, et de plus en plus officielle, à l’opposé des propos de Picrochole, réduits à la seule invective : il finit d’ailleurs dans le mutisme le plus complet à la fin du roman. A l’opposé, est mise en avant une parole qui se revêt de prestige du côté des vainqueurs : elle est organisée, construite, et attentive à la place du destinataire (chapitre 50).
- Enfin, la valeur de piété se voit sans cesse réaffirmée ieu doit guider le roi et son fils, GGprie et s’inspire de la lecture de l’Evangile : c’est un roi chrétien. Tout son office est de bien administrer les terres qu’il a reçues de ses pères et il ne cherche pas à les augmenter. P. au contraire est considéré comme délaissé de Dieu (cf harangue d’Ulrich Gallet : et réponse au roi « cest homme est du tout hors du sens et délaissé de dieu » p. 246 ), peut-être abusé par des illusions diaboliques.
A l’opposé de leur adversaire P., GG et G. présentent donc toutes les caractéristiques du prince humaniste tel que les humanistes (Budé, De l’institution du prince chrétien, 1519/ L’Institution du prince chrétien, Erasme, 1515), le peignent dans leurs ouvrages sur l’éducation du prince : humains, pacifiques, avisés, instruits et chrétiens.
Les réflexions politiques de Grandgousier s’affirment tout particulièrement au chapitre 46 (“Comment Grandgousier traita humainement Toucquedillon prisonnier”) et dans la harangue de Gargantua (chapitre 50 : “La concion que fit Gargantua es vaincus”). Dans les passages précédents, on constate que les exploits et anecdotes relevant du gigantisme dans la tradition des Chroniques (assaut du château du bois de Vède, pélerins mangés en salade, noyade des gens de Picrochole, etc.) sont portés à l’excès, dans une forme de parodie. Il s’agit donc moins de convaincre et d’impressionner le lecteur, que de le faire entrer dans un jeu narratif où l’essentiel gigantal se trouverait ailleurs : dans un abyme de sagesse et de réflexion politique. Non seulement, Gargantua fait preuve de discernement au sein de la bataille, mais il est capable également de raisonnement au milieu du combat et d’une maîtrise suffisante pour trouver un juste dénouement pour vainqueurs et vaincus à la fin du conflit : comme l’affirme Jacques Casari (article dans Analyses et réflexions sur Gargantua, ouvrage collectif, Ellipses, 2003) “la formation humaniste de Ponocrates a donc produit un prince responsable. Vertus, modération, réflexion, humanisme, responsabilité, tout cela s’exprime avec encore plus de force dans les dernières pages consacrées à la guerre.”
Outre les réflexions de Grandgousier (chapitre 46) et la harangue de Gargantua (chapitre 50), la harangue d’Ulrich Gallet, représentative de la mesure et de la sagesse dans le domaine politique, joue également un rôle important dans la conception du pouvoir développée par Rabelais (il faut également remarquer qu’il s’agit là d’un modèle de discours, auquel on peut opposer celui de Janotus de Bragmardo au chapitre 19).
La harangue d’Ulrich Gallet est un modèle de construction rhétorique. Son propos est fidèle aux cinq étapes d’un tel discours, marquées par des transitions et des liens logiques.
1 – Exorde dans lequel il s’appuie sur une situation humaine universelle (la douleur causée par le sentiment de trahison) ; cette ouverture dramatise la situation, la place sous des couleurs tragiques. (§ 1)
2- Narration : le récit des dommages subis (l’invasion de Picrochole), qu’aggrave le pacte d’alliance entre les deux royaumes (§ 2 et 3)
3- Réfutation des mauvais arguments potentiels du destinataire (une invasion qui serait indifférente au Souverain juge ? > Rien n’échappe à la justice de Dieu – la marque du destin qui aurait frappé le royaume de Picrochole ? > Il n’avait pas le droit d’entraîner ainsi ses voisins dans sa chute – Le tort causé aux sujets ou domaines de Picrochole ? > Il fallait d’abord mener une enquête pour s’en assurer (§ 4 à 6)
4- Confirmation : Mise en avant de deux arguments, le caractère inacceptable du pillage et la capacité de riposte de Grandgousier. (§ 6)
5- Péroraison : Injonction sans appel : il faut libérer les terres occupées, verser une somme pour les dommages occasionnés et laisser en otage un certain nombre de dignitaires.
En outre, le discours est émaillé de procédés rhétoriques supposés convaincre et persuader : présence constante du destinataire dans le discours, interrogations oratoires (§ 4, 5), éléments de reconnaissance objective (actuelles, historiques), jugements de caractère moral ou philosophique, référence à un système de valeurs dans lesquelles l’auditeur peut se reconnaître, y compris religieuses (ethos), appel à la reconnaissance du coeur (pathos), etc.
Le discours d’Ulrich Gallet est donc conforme aux chapitres de Gargantua dans lesquels le narrateur quitte la fantaisie du propos pour un discours de portée didactique. Indirectement, les paroles d’Ulrich Gallet annoncent celles de Grandgousier, prince philosophe du chapitre 45 (p. 320).
3) Quel type de gouvernement ?
S’il y a bien, dans cette présentation du monarque idéal soucieux de protéger des sujets qui le nourrissent, l’esquisse d’un gouvernement contractuel, le contrat reste cependant limité et n’introduit aucune égalité entre le roi et ses sujets. Pour Rabelais, le prince reste bien d’une espèce à part, comme les aristocrates qu’on élève à Thélème pour en faire ses courtisans. Les princes sont d’ailleurs des géants dans ce récit. C’est a prince qu’il incombe la bonne organisation de la société : le système est élitiste et patriarcal et la notion de nation reste absente de la pensée de R. Le peuple, « tant badault et tant inepte de nature » (154), n’est qu’un enfant qu’il faut conduire et protéger, et la façon dont il est peint dans l’épisode des cloches de ND le rappelle bien. A Thélème n’entrent que des jeunes gens « bien nez » (374). Le roi reste le seigneur et le propriétaire de ses terres et, semble-t-il, aussi de ses sujets. Toutefois, son autorité n’est pas de droit divin, mais de droit naturel, comme GG le rappelle dans sa lettre à G : « force me est te rappeller au subside des gens et biens qui te sont par droict naturel affiez. » (234). Le roi n’est donc pas sacré, son pouvoir est essentiellement temporel, et son ascendance, comme le rappelle Alcofribas dans le premier chapitre, peut même n’être pas brillante : « Je pense que plusieurs sont aujourdhuy empereurs, Roys, ducz, princes et Papes en la terre, lesquelz sont descenduz de quelques porteurs de rogatons et de coustretz. » (54). Ceci ne semble pas entacher la légitimité de la succession héréditaire.
En cela, Rabelais se distingue de T. More dont le royaume d’Utopie n’a pas de roi, mais des princes élus dans les cinquante-quatre villes qui le forment. Les princes sont élus à vie, mais n’ont que des pouvoirs limités. Le modèle est celui de la cité antique. Erasme lui-même préconise l’élection des princes, pour remédier aux crises dynastiques qui sont toujours source de guerres. Il remet ainsi en cause la monarchie héréditaire.
L’innovation du système rabelaisien n’est donc pas démocratique : le peuple n’est pas affranchi à proprement parler et, s’il cesse d’être traité en esclave au nom de la fraternité humaine, il reste entièrement dépendant de l’autorité du roi. En revanche, le roi, lui, se trouve placé sous l’autorité de Dieu, qu’il ne faut pas confondre avec celle de l’Eglise. Les rois de R. lisent l’Evangile, prient, mais ne consultent pas les prêtres (on ne saurait considérer Frère Jean comme tel).
Source : mispelaere Haut