Beaucoup à l’époque de Baudelaire auraient dit que les thèmes qu’il traitaient étaient immoraux. Le tribunal a même condamné certains de ses poèmes sur les thèmes de la sexualité explicite, du lesbianisme, du sadisme, et de la femme vampire. Toute société a un code moral culturel qui est parfois aussi un code religieux. Ce code crée des distinctions sociales entre le bien et le mal et condamne les sujets (de conversation, des médias) qui ne suivent pas les règles sociales dictant les sujets “bons.” L’ Hymne à la Beauté de 1860, soit un an avant la seconde et dernière édition du vivant de Baudelaire, des fleurs du mal, a une place spécifique dans les Fleurs du mal. Ce poème donne une réponse de Baudelaire (et de la révolution morale bourgeoise du dix-neuvième siècle capitaliste) aux codes moraux. La meilleure manière de comprendre cette réponse de Baudelaire est de lire ses poèmes sur le bien et le mal et d’essayer de comprendre ce qu’il dit sur le bien et le mal. Charles Baudelaire cherche à distinguer ce qu’il y a de beau dans le mal. Il suggère que la beauté soit à la croisé du bien et du mal, du ciel et l’enfer. Pour
La beauté est considérée comme aussi attirante. Dans la deuxième strophe, la beauté est personnifiée comme une femme désirable. La notion de tentation, dans la religion chrétienne, est associée au diable et à la damnation. Dans le troisième vers, le désir est symbolisé par la soif grâce à une métaphore entre le baiser et le liquide : « Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore » . Baudelaire remet ici en question le lien qu’il avait fait entre la beauté et le vin, causes de bienfaits et de crimes, avec le symbole de l’amphore. Les deux premiers vers décrivent les caractéristiques physiques de la beauté femme. Une autre métaphore décrit l’éclat brillant dans les yeux de la beauté en l’identifiant au soleil levant ou couchant : « Tu contiens dans ton oeil le couchant et l’aurore » . Son parfum, quant à lui, est comparé à ceux d’un soir orageux. Le parfum de l’orage apparaît ici plutôt comme une symbolisation de l’excitation nerveuse que peut procurer un soir d’orage. La beauté est donc représentée par une femme dont l’apparence est plus agréable que la normale, excitante et désirable qui est « une des formes les plus séduisantes du Diable » comme Baudelaire le dit lui-même dans Mon coeur mis à nu, XXVIII.
De quel mal le poème accuse la beauté ? Elle est associée à l’horreur et au meurtre dans la quatrième strophe. Le meurtre est symbolisé par un bijou dansant sur un ventre nu. L’image de la danse associée au meurtre rappelle la scène où Salomé, la femme fatale, demande à son père la tête de Jean-Baptiste. La beauté incite donc l’homme au péché et au crime par sa séduction. La troisième strophe et le premier vers de la quatrième décrivent une beauté qui possède un grand pouvoir et qui n’en prend aucune responsabilité. Les deux antithèses des derniers vers : « Tu sème au hasard la joie et les désastres, Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien » présente l’irresponsabilité morale que la beauté affiche concernant ce pouvoir. Elle est la cause directe des choses les plus terribles et s’en déculpabilise complètement : « Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques » . La beauté n’est donc qu’un monstre infernal qui ne se préoccupe pas des victimes qui tombent dans le piège de ses charmes.
Le côté divin de la beauté. La beauté, comme son nom l’indique, est opposée à la laideur du monde. L’homme cherche à se couper de la laideur et du mal qui habite le monde en allant adorer une beauté de toute son âme, oubliant ainsi le mal autour de lui. Le poème illustre la comparaison, avec les deux parties de cinquième strophe, la passion qui motive l’éphémère comme l’amoureux à aller jusqu’à se laisser mourir pour une Beauté : « L’éphémère ébloui vole vers toi chandelle, Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau ! » La beauté pourrait donc avoir l’âme infernale sous l’apparence divine, et c’est cette moitié angélique d’elle à laquelle l’homme aspire. En acceptant cette partie féerique de la beauté, il doit en échange faire avec la mauvaise partie également. Baudelaire voit en la beauté, malgré sa monstruosité, un petit passage vers le monde de l’Idéal : « Si ton oeil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu ? » L’Idéal est l’harmonie des sens et le repos opposé à l’angoisse de l’insupportable « spleen » qu’est le monde banal. Finalement, on peut dire que la beauté abreuve l’homme de sa soif d’Idéal et de divin en lui procure l’oubli de ce qui est laid et dégoûtant.
La beauté est un peu semblable au paradis artificiel qui finit par trahir celui qui s’y plaît. Pourtant, elle n’est pas vraiment une tromperie. La beauté est l’opposé de la laideur et non du mal. En la choisissant, on s’isole du laid, mais on s’expose à la fois à son côté divin et son côté diabolique. Baudelaire n’associe pas la beauté uniquement au bien et à l’ange et la laideur au démon, ce qui serait trop simpliste. Il montre que la Beauté, comme la Femme terrestre appartient à ces deux mondes soit l’enfer et le ciel. L’Hymne à la Beauté nous donne alors beaucoup à réfléchir avant de se laisser séduire par la première beauté qui passe. Faut-il faire comme l’éphémère et courir à notre perte avec le sourire ou retenir nos passions ? C’est un choix que chacun doit faire personnellement et qui va selon notre philosophie.
Source : gF